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Parti courir no 79, 1 décembre 2021

Je suis parti courir. Dans mes écouteurs, une chroniqueuse culturelle parlait du décès de Stephen Sondheim. Un des plus influents compositeurs de la seconde moitié du 20e siècle. Pensez à une comédie musicale, il y a de bonnes chances qu’il y ait contribué. 

Pourquoi je vous parle de lui? Parce que, je l’avoue un peu honteusement, j’aime ça, moi, les comédies musicales! Jugez-moi si vous voulez. La musique est enlevante, les artistes plus qu’excellents et les bons finissent toujours par triompher des méchants. Irrésistible.

Je pense notamment aux Misérables que j’ai vus quatre fois. Depuis la première, à Broadway, je suis accro. Les dilemmes éthiques de Valjean, les élans patriotiques de Marius, la mort dramatique de Fantine (croyez-moi, elle ne meurt pas juste un peu. Elle meurt beaucoup, beaucoup). Juste à y penser, je casse. 

Littéralement, je casse. 

À l’occasion, ça peut être embarrassant. Comme la fois où un collègue de Mme Ménard, un prof de musique, m’avait annoncé que sa chorale allait chanter un extrait des Misérables. Me voilà les yeux dans l’eau. Réaction démesurée, je suis le premier à l’admettre, pour un programme de chorale du primaire. Mme Ménard ne s’en surprend plus quoique, encore récemment, elle me disait : « Va falloir un jour que tu m’expliques ce qui fait que ça te touche autant ». 

Pour la plupart des comédies musicales, j’en serais bien incapable. Sauf une. Celle-là, je sais exactement pourquoi. 

Hamilton.

« Hamilton », c’est un cours d’histoire et de politique sur la vie d’Alexander Hamilton. Un des pères fondateurs des États-Unis, le premier Secrétaire du Trésor. Vous prêterez attention lors de votre prochain passage de l’autre côté de la frontière, le gars sur les billets de dix dollars, c’est lui.

À priori, la vie d’un ministre des Finances, ne constitue pas un sujet très excitant pour une comédie musicale. C’est vrai. Mais il faut aussi savoir que :

  • Hamilton est orphelin de père et mère en bas âge.
  • Il apprend seul à lire, à écrire et à compter. 
  • À 13 ans, il gère un port dans son ile natale des Caraïbes.
  • Il agit aussi comme correspondant local pour des journaux. 
  • Un mécène, impressionné par l’intelligence du jeune homme, l’envoie étudier aux États-Unis.
  • Il s’y engage pendant la guerre d’indépendance, devient le bras droit du général Georges Washington et un héros. 
  • La victoire acquise, il contribue fortement à la rédaction de la Constitution.
  • Washington le nomme Secrétaire du Trésor. Hamilton va créer de toute pièce un système monétaire et financier pour le nouveau pays.

J’allais oublier. Il a aussi…

  • … marié Élisabeth Schuyler, mais a toujours autant aimé la sœur de celle-ci, Angelica.
  • … fait fortune comme avocat.
  • … échappé la présidence en raison d’un scandale qu’il a décidé de révéler lui-même dans les journaux.

Et il est mort à 47 ans, abattu dans un duel par un ami vexé d’une remarque sarcastique d’Hamilton dans une soirée mondaine.

Il y a de la matière pour une comédie musicale, non?

D’abord un succès sur Broadway (encore aujourd’hui, la salle est toujours pleine bien que les billets coûtent autour de 700$), Hamilton le spectacle est désormais présenté en Europe, en Australie et partout aux États-Unis. 

Et c’est la trame sonore de moi, malade. 

En juin 2016, on m’a annoncé que j’avais un cancer. Un myélome multiple. En version d’explication courte, une forme de cancer du sang. Aussi un coup de pelle ronde derrière la tête.

Le hasard a voulu que je tombe au même moment sur un reportage à propos de cette comédie musicale qui faisait fureur.  

Je me suis alors accroché à l’univers d’Hamilton. Pas juste l’album. J’ai vu et lu tout ce que je pouvais là-dessus, dont la biographie qui a inspiré le créateur du spectacle, Lin-Manuel Maranda. La musique et les 800 pages du bouquin de Ron Chernow m’ont tenu compagnie en salle d’attente : Helpless (Sans défense), en salle de traitement :  What Comes Next? (Qu’est-ce qui viendra après?), dans mes courses avant une greffe : My Shot (Ma chance) jusqu’aux laborieuses premières marches après : Take a Break (Prend une pause). 

Cinq ans plus tard, l’effet de la musique est demeuré. Dès les premières mesures de l’intro, les souvenirs affluent, bons et mauvais. Avec le recul, surtout les bons mais quand même.

Ça explique le port des lunettes teintées pour courir, parfois même par temps gris. 

Catégories : Décembre 2021