Le grand Charles

Parti courir, no 33. 25 juin 2020.

Je suis parti courir. La journée de la Saint-Jean, en fin d’après-midi. Les parcs et les rues piétonnières étaient pleine de monde. La distanciation avait l’air… d’une pensée distante. C’était la première journée confortable après la canicule alors les gens avaient envie d’être un peu plus proches. À 40 degrés et plus, deux mètres d’écart, ça vient tout seul. 

J’ai appris une nouvelle expression en courant. Être une « plume ». Non, on ne parle pas de la légèreté de la foulée de certains coureurs. En fait, c’est ainsi qu’on appelle en France, le métier de ceux qui écrivent les discours des hommes et femmes publics. Hé oui, désolé de vous décevoir mais les meilleurs discours ont été écrits (la plupart du temps) par quelqu’un d’autre que l’orateur. 

Même Obama avait son « speechwriter ». Il donnait une indication très claire de ce qu’il voulait dire, comment il voulait argumenter son idée mais ensuite, le gros du travail d’écriture revenait à un jeune gars, Jon Favreau, qui savait parfaitement se mettre dans la tête du président. Tellement éloquent qu’il est devenu une vedette des médias politiques après son passage à la Maison-Blanche.

Même chose, pour Macron en France, pour Legault et Trudeau ici et, vous l’aviez sûrement deviné, pour Trump. Dans son cas, c’est très facile de voir ce qui a été écrit par des rédacteurs et ce qui vient de lui : Si c’est incroyablement stupide, ça vient de l’équipe. Si c’est encore bien pire, c’est lui qui improvise !

Le terme « une plume » je l’ai appris en écoutant une entrevue de la radio française avec Michaël Moreau, un journaliste, l’auteur d’un livre, Les plumes du pouvoir. Il y parle de la relation des politiciens avec ceux qui écrivent et il y raconte des anecdotes reliées à des discours célèbres.

En passant, depuis le début de la pandémie, le hasard m’a plutôt bien servi en matière d’histoires à raconter. C’est encore une fois le cas. 

Je suis en train de courir, je passe dans un parc bondé lorsque l’entrevue aborde le cas de Charles de Gaulle. Lui, il avait l’air d’improviser mais c’était toujours écrit. Par contre, pas de « plume » pour le grand Charles, il rédigeait tout lui-même. Et là, l’auteur du livre nous cite un exemple célèbre, la visite de De Gaulle au Québec en 1967.

Au balcon de l’Hôtel de ville de Montréal, son fameux « Vive le Québec… vive le Québec libre! » il l’avait prévu et même pratiqué, quelques jours auparavant, devant son aide de camp, pour s’assurer de l’effet que ça faisait. Il a raconté plus tard qu’il savait très bien qu’il allait causer des remous diplomatiques mais il voulait donner un coup de pouce aux Français d’Amérique et (un peu beaucoup) emmerder les Anglais dont il n’était pas un grand fan. L’intonation, le semblant d’hésitation, c’était du théâtre. Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, il ne s’est pas laisser emporter par l’enthousiasme de la foule. Ça n’avait rien d’improvisé. 

Et c’est comme ça que, le 24 juin 2020, en courant au milieu de québécois venus de partout dans le monde, fiers porteurs de drapeaux fleurdelisés, j’ai entendu Charles de Gaulle me hurler dans les oreilles « Vive le Québec libre! », avec l’assurance du gars qui sait qu’il vient de mettre le feu dans la cabane. 

Le hasard, dites-donc.

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