Pour écouter la version audio

Parti courir, no 74

11 août 2021

Je suis parti courir. Après avoir dormi dans le lit du Rocket. Oui, mesdames messieurs, vous avez bien lu. Le légendaire Maurice Richard et moi avons partagé le même lit. À environ 60 ans d’intervalle.

Quand j’étais jeune, à Chambord, tout le monde se faisait une fierté du passage annuel du Rocket. Il venait pêcher la ouananiche au chalet d’Alonzo Tremblay, dans le secteur de La Pointe. On ne sait pas s’il récoltait autant de poissons que de buts mais il scorait suffisamment pour vouloir revenir chaque été.

Mme Ménard et moi, depuis qu’on a quitté la région pour la grande ville, louons pour quelques semaines tous les étés, un chalet sur La Pointe de Chambord, afin de revoir le Lac et les familles. On change d’endroit, au hasard des disponibilités. Cette année, avec l’afflux de touristes covidiens, le choix était mince. En fait, il ne restait qu’un seul et « rustique » chalet.

La propriétaire nous a confirmé que : oui, c’est bien l’ancien chalet d’Alonzo Tremblay et oui (on a senti que c’était un gros argument de vente), le Rocket a déjà dormi ici. Pour ce qui y est du lit, j’atteste qu’il est d’origine : Maurice a dû traiter les ressorts comme les défenseurs des Bruins et des Maple Leafs.

Tellement que j’ai abandonné Mme Ménard à son sort pour aller finir la nuit dans la deuxième chambre, sans même me demander si celle-là avait accueilli Elmer Lach et Toe Blake.

Heureusement, j’ai de meilleurs souvenirs de l’illustre numéro 9. J’ai eu l’honneur de partager la glace avec lui. (Quiconque m’a vu jouer au hockey devine déjà qu’il doit y avoir une « pogne », le Rocket et moi n’ayant évidemment pas d’affaire sur la même patinoire).

Dans les années 80-90, j’ai fait partie d’une équipe composée de journalistes d’un peu partout dans la province. On parcourait le Québec pour jouer contre des équipes locales. Parfois, pour attirer les spectateurs, notre directeur-général, le journaliste François Béliveau de La Presse, invitait Maurice Richard à arbitrer les rencontres.

Alors on débarquait un bon samedi dans un village du fond de la Gaspésie, quelques vedettes médiatiques du temps (Claude Mailhot, Jacques Moreau), un paquet de nobody (moi) et… Maurice Richard. C’était l’émoi dans la place. Mailhot et Moreau étaient très sollicités, mais surtout tout le monde voulait parler au Rocket.

Certaines idoles inspirent une ferveur religieuse. Je vous le confirme, je l’ai vu. Maurice Richard pouvait littéralement guérir par l’imposition des mains. Quand un joueur se blessait, le Rocket n’avait qu’à approcher pour le remettre sur pied. L’orgueil c’est fort. Personne n’osait avoir l’air faible devant un gars doté d’un pareil regard.

Autre avantage, personne ne contestait ses décisions (pourtant très contestables, il était aussi mauvais arbitre que bon joueur). Je me souviens d’un incident où mon partenaire à la défense, après s’être fait varloper par un adversaire sous l’œil indifférent de notre officiel n’avait pu retenir un : « Maurice??? Câlisse! »

Silence total sur la glace. Sacrer après le Rocket! Sacrilège!

Heureusement, le numéro 9 avait plus de 60 ans, son caractère s’était adouci. Il comprenait que dans le feu de l’action, le gars avec le chandail rayé, même s’il est une légende, s’expose à se faire traiter de jambon. Notre joueur s’était excusé, la partie avait repris, on avait évité l’émeute en Gaspésie.

Aujourd’hui, après avoir partagé la glace, des bancs d’autobus et quelques repas avec Maurice Richard, je pourrai ajouter que j’ai (mal) dormi dans le même chalet. J’envisage même d’organiser une dernière cérémonie en son honneur.

On a retiré son chandail en 1960. Il serait grand temps, 61 années plus tard de retirer le matelas du Rocket.