Version audio

Parti courir, no 85. 17 avril 2022

Je suis parti courir. Avec Luce Dufault. Pas vraiment avec Luce Dufault, on s’entend, même si ça se pourrait. C’est une coureuse chevronnée, je l’imagine bien dans la catégorie des gazelles qui effleurent à peine l’asphalte. 

Donc, pas avec Luce Dufault mais avec Luce Dufault dont j’avais vu le spectacle, la veille. Un show qui devait avoir lieu en 2020. Au printemps 2020. Reporté et re-reporté. 

Elle a une voix unique. Une texture qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Aussi, l’intelligence de savoir que même, comme elle, si tu peux atteindre les notes les plus extrêmes, t’es pas obligé de le faire à chaque chanson. Parfois (souvent!), de la retenue ou même carrément un silence, c’est une excellente technique vocale. 

J’avais écouté, un peu distraitement je m’en confesse, son dernier album, « Dire combien je t’aime ». C’était probablement le cas pour une bonne partie du public ce soir-là. Alors on est plusieurs à s’être fait scier les jambes. 

Comme Carole et Jacques

Aucune idée si elle s’appelait vraiment Carole, aucune idée s’il s’appelait vraiment Jacques. Ils étaient devant nous, deux têtes grises. Celle de Jacques assez dégarnie, celle de Carole tirant sur le blanc, impeccablement coiffée. Pas l’exubérance de Louise Latraverse mais quelqu’un qui assume. 

À l’évidence, ils appréciaient le spectacle, comme nous. Pour être bien honnête, je ne leur avais pas tant prêté attention, jusqu’à la chanson « Pauvre terrienne ». Une chanson remarquable, attendrissante, une lettre d’amour. Un texte de Jeff Moran, avec quelques très jolis flashes d’écriture. 

Chaque couplet se termine sur une phrase qui est une variante de « ma main dedans la tienne ». Pas le banal « dans la tienne » qu’on trouve dans tellement de chansons. Dedans la tienne. Juste ça, ce « dedans », montre tellement de fragilité. 

Luce nous chante ça, j’ai les yeux un peu embrouillés (Damnée fumée. Comment ça, y’en a pas de fumée?). Je vois quand même suffisamment clair pour remarquer le bras de Jacques qui se déplace. 

Lentement, presqu’imperceptiblement, sa main remonte le long du dossier de la chaise de Carole. Il atteint son épaule, fini par se poser à la base de son cou et reste là sans bouger.

Elle a frissonné, je pense. Pas mal certain. 

Elle a frissonné.

Jacques n’a pas été plus loin, Carole ne l’a pas regardé. Pas besoin.

Un souvenir en commun, une tranche de vie, une carte postale, un drame ou un grand bonheur. « Ta main dedans la mienne », ça venait de les frapper en plein cœur.

Le spectacle s’est terminé peu après. Ils se sont levés. Moi, j’ai préféré baisser les yeux comme ils allaient se retourner. Ne garder, « dedans » ma tête, que le souvenir d’une main sur une épaule. D’un frisson. 

Je ne pourrai jamais vous présenter Carole et Jacques, mais je peux au moins vous faire écouter la chanson. Pas l’entendre, l’écouter. Prenez une pause. Installez-vous dans votre fauteuil préféré, avec un breuvage de votre choix. Montez le volume :

De rien. 


1 commentaire

Benoit Bouchard · 17 avril 2022 à 19h01

Guy Ménard. Un texte qui rejoint ceux que j’ai lu dans  »Partir Courir ». De l’émotion sans sensiblerie. Des évènements quotidiens que chacun de nous pourrait vivre mais sans être capable de les raconter. Les 77 chroniques de ton livre racontent des choses simples de la vie(pas simple évidemment dans le sens ‘,fais pas simple ») avec un humour qui n’est ni amer ni agressif .Il n’est pas facile de discourir sur notre réalité quotidienne. PLusieurs auteurs s’y sont cassé la gueule. Mais cela te convient c’est tout.

Les commentaires sont fermés.