WHITE PRIVILEGE

Parti courir, no 27. 31 mai 2020.

Je suis parti courir. Et je suis revenu. Je suis passé dans des parcs, sur des pistes cyclables, sur des trottoirs, dans plusieurs quartiers résidentiels. Personne ne m’a insulté, personne n’est parti après moi, personne ne m’a attaqué.

Personne ne m’a tué.

Ahmaud Arbery, lui, n’a pas eu la même chance. Le 23 février dernier, il faisait du jogging dans un quartier « blanc » de Satilla Shores, en Géorgie, USA. Deux bozos, un tandem père et fils, l’ont pris pour un voleur. Ils ont fait ce que font deux bozos qui ont des fusils et le quotient intellectuel d’un dé à coudre. Ils ont tiré dessus. Ahmaud Arbery avait 25 ans. Est-ce que j’ai vraiment besoin d’ajouter que c’était un noir?

Moi, aujourd’hui, j’ai couru dans un quartier cossu. Il y a le chef-vedette Ricardo qui habite là. Je passe par-là pratiquement une fois sur deux. C’est sûr que Ricardo ne me partira pas après avec un gun. Avec un pied mélangeur, peut-être, mais encore. 

En anglais, l’expression pour ça c’est « White Privilege ». Tout ce qui te semble parfaitement normal lorsque tu fais partie de la majorité blanche et qui ne l’est pas pour les autres. 

Vous me direz que ce sont les États-Unis, le Sud, en plus. Oui, mais… on est capable de faire notre bout dans le domaine. N’importe quel noir d’ici vous racontera le nombre de fois où il s’est, sinon fait insulter, disons, achaler à cause de la couleur de sa peau. Ou juste se faire dire quelque chose de vraiment stupide. 

Demandez à Raffi, le fils d’une amie. Un bon joueur de hockey alors imaginez le potentiel avec tous les parents champions dans les estrades. Demandez à Giselle, qui prend soin de Marie-Lyne et Ève dans les tournées des Grandes crues. Le nombre de fois où, parce qu’elle est noire, elle s’est fait demander tu viens d’où? Elle est née à Verdun! 

Ça c’est juste le banal, l’anodin, le petit racisme ordinaire. Je vous fais grâce du reste, du profilage racial, de l’accès aux bonnes écoles, aux bonnes jobs, à la classe moyenne.

Depuis le meurtre de Georges Floyd, les rues des grandes villes américaines sont remplies de manifestants qui ne demandent qu’une chose, un traitement équitable. En 2020. 

Ce pays-là est tellement capable du pire et du meilleur. Souvent en même temps. Hier en après-midi, les réseaux de nouvelles en continu présentaient simultanément deux images. Celle des manifestants et celle de la fusée Falcon 9, le premier départ d’astronautes depuis les États-Unis en près de dix ans. 

Trump était au départ de la fusée. Je ne sais pas si quelqu’un de la Nasa avait pensé à lui proposer un billet aller. Un aller simple. Pas besoin de nous le retourner, ça va être correct, merci.