Parti courir, no 53. 26 septembre 2020
Je suis parti courir. Départ de la cour du garagiste où je venais de laisser l’auto pour la pose des pneus d’hiver. Je me relis et je trouve que ça fait un peu « Pays d’en-haut ». Genre je laisse le cheval chez le forgeron et je marche cinq milles pour retourner dans mon rang. Certain que les forgerons n’offraient pas un service de charrette de raccompagnement. Pas de chevaux de courtoisie non plus.
Le garage est en bordure de la bande du canal de Chambly, un de mes trajets favoris. J’y ai donc laissé les clés et je suis parti à la course. Sous le regard un peu surpris du mécano. Il a dû s’imaginer que je lui laissais une auto volée ou que j’étais vraiment allergique aux factures.
Quatre degrés, une bruine tenace. Un temps de canard. Ça tombe bien, les principaux intéressés avaient répondu à l’appel. Plusieurs centaines qui pataugeaient dans le reste d’eau du canal dont les écluses sont maintenant fermées à la navigation.
Pour les canards, le canal c’est un combo « buffet chinois/dortoir ». Le « All You Can Eat » du palmipède. En plus, pas d’effort à fournir, l’eau y est stagnante. Repos bien mérité quand on considère qu’ils passent la majeure partie de la journée sur le Richelieu. Dans le courant, pour eux, c’est une session de spinning de huit, dix heures. Tous les jours.
Comment ça se fait que les canards n’ont pas des gros mollets?
J’ai essayé d’arriver aussi doucement que possible. Le temps de saisir quelques conversations. Je ne savais pas qu’ils s’intéressaient à la politique. Je jurerais que je les ai entendus commenter les dernières insanités de Trump, à propos de la Covid, « Nous avons tourné le coin ». Les canards semblaient plus que septiques : « Coin? Coin! Coin!!! »
Malgré mon bon vouloir, ils ont fini par me remarquer. Certains ont bien essayé de plonger mais, dans 30 centimètres d’eau, y’a toujours un bout qui dépasse. Alors Ils se sont poussés vers l’autre rivage, moitié flottant, moitié marchant.
Finalement, comme je les voyais toujours, je leur ai fait honte. Ils se sont dit que si un humain faisait de l’exercice par ce temps et à cette heure, pas le choix, faudrait bien qu’ils s’y mettent aussi.
Alors ils se sont envolés en faisant la baboune, pour les quelques centaines de mètres qui séparent le canal de la rivière. Ils sont passés au-dessus de moi en jasant comme le canard dans les romans policiers de Louise Penny, celui dont tous les personnages disent qu’il est mal engueulé. Il marche en marmonnant : « fuck, fuck, fuck, fuck ». Multipliez ça par environ 300.
Comme quoi, même pour des canards champions de spinning, un lundi matin, ça reste un lundi matin.