Parti courir, no 91. 30 juillet 2022.
Je suis parti courir. Après le pape. Le vrai, dans sa papemobile, qui venait de passer devant moi. En fait, je courais davantage après les réactions des jeunes massés sur le parcours. Jean-Paul 2, lui, était dans sa bulle vitrée, entouré de bodyguards qui n’avaient pas l’air d’enfants de chœur.
10 septembre 1984, le Saint-Père venait de faire son entrée au Stade Olympique.
Comment moi, jeune journaliste d’une station régionale, je me suis retrouvé là, à décrire en direct sur tout le réseau radiophonique Télémédia cet événement majeur ? Je ne le sais pas exactement. Même mon ami François Lafortune, ex-collègue de radio à la mémoire pourtant encyclopédique, n’en est pas certain.
J’étais journaliste au Saguenay. CKAC, la maison-mère du réseau, avait besoin de « bras » pour couvrir la visite du Pape au Québec, alors me voici à Montréal. J’imaginais être affecté aux classiques, les vox-pop ou la description des embouteillages.
Ah, l’innocence de la jeunesse…
À peine arrivé on m’annonce que : 1. Je serais posté au Stade Olympique. 2. En solo dans la journée pour les préparatifs. 3. En utilisant la loge des descripteurs des Expos, Jacques Doucet et Rodger Brulotte. Et, 4. Je finirais la journée en décrivant le spectacle et la messe au Stade, pour fournir la « couleur locale » aux animateurs en studio, le chef d’antenne Michel Viens et Alice Parizeau.
Je rafraîchis votre mémoire à propos de Mme Parizeau. À l’époque, tout le monde la connaissait. Une femme impressionnante. Journaliste, écrivaine, l’épouse de l’homme politique Jacques Parizeau. Née Alicja Poznańska, une rescapée des camps de concentration d’origine polonaise. Dotée d’une immense culture, ses origines polonaises lui conféraient une forme de lien du sang avec le Souverain pontife.
Alors c’était qui l’interlocuteur évident pour discuter avec Mme Parizeau de la portée de de l’événement, de sa symbolique, de son rayonnement auprès de la jeunesse, etc.? Évidemment, chose-là, le ti-cul qui est arrivé de Chicoutimi hier!
T’as beau être jeune et innocent, vient un moment où la pression monte.
Pour vous dire le genre de journée que j’ai passée, dans l’après-midi j’ai rencontré Céline Dion et René Angélil sur le tapis du Stade pendant qu’elle répétait « Une colombe ». René m’a demandé mon opinion sur la qualité du son au fond du stade et ce n’est même pas ça le moment le plus BIG de ma journée!
Mon moment le plus BIG, c’est… plus de deux heures de temps d’antenne avec Alice Parizeau. Allez donc savoir pourquoi, ça a cliqué entre nous. On se passait la parole naturellement, on se relançait. La voix au Stade essayant de transmettre au studio l’ambiance survoltée qui y régnait.
Jean Paul 2 en 1984, c’était une « rock star ». Un pape nouveau genre, hors du moule italien traditionnel, qu’on croyait capable de renouveler l’Église. Au Stade, l’attendaient 60 000 jeunes. Quand la Papemobile est arrivée, la bâtisse s’est mise à trembler. Le bruit a atteint un tel niveau que j’ai perdu le contact avec le studio.
Alors j’ai improvisé, j’ai parlé sans arrêt, décrivant de mon mieux l’assistance si enthousiaste, le spectacle qui s’amorçait, le ciel qui se dégageait au-dessus du stade, juste à temps, comme si « On » lui avait ordonné de le faire.
Les premiers rayons de soleil de la journée sont d’abord venus frapper les jeunes des dernières rangées, ceux qui avaient les plus mauvais billets. Ce qui m’a poussé à lancer en ondes la question : « Les derniers seront les premiers, c’est bien tiré de la Bible, non? ». « Absolument Guy, de l’Évangile selon Saint Mathieu » m’a répondu sans hésiter Alice Parizeau*.
T’sé quand la puck veut rouler pour toi…
François croit même se souvenir que, emporté par les circonstances, j’aurais osé glisser dans mes commentaires une citation latine. Si c’est bien le cas (et je n’oserais pas contredire François), c’est très fort: tout mon latin vient d’Astérix et des pages roses du dictionnaire!
Le spectacle s’est terminé par une messe. Qu’heureusement, on ne m’a pas demandé de décrire comme un match de hockey : « Le 2 s’avance, contourne un servant de messe et soulève le calice d’un geste précis… ».
Aujourd’hui, je n’ai qu’un regret, la façon dont j’ai rendu l’antenne au studio. Je l’ai fait de façon classique, alors que j’aurais pu faire tellement mieux. Après tout, j’occupais le siège de Rodger Brulotte. Le départ de Jean-Paul 2 aurait bien mérité un retentissant :
Bonsoir… IL EST PARTI!
*Des années plus tard, Céline s’est fait écrire par Jean-Jacques Goldman une chanson intitulée « Les derniers seront les premiers ». Coïncidence? Je ne crois pas.