Parti courir, no 115
Je suis parti courir. Après une employée de l’hôtel qui pourrait jouer les photographes. Heureusement, la fin d’après-midi était calme à la Réception alors une préposée a bien voulu s’absenter quelques minutes pour immortaliser un couple, sûrement pas le premier, devant la tourelle de l’hôtel le Château Blanc de Bonaventure.
Là où les choses se sont compliquées, c’est quand je lui ai expliqué que la photo devait être prise dans un angle bien précis, à une certaine distance de la tourelle. Elle avait sûrement déjà eu son lot de demandes particulières (on ne travaille pas dans l’industrie touristique sans une certaine ouverture d’esprit) mais là, force est d’admettre que c’était un peu curieux.
Je lui ai donc montré la photo.
Elle a tout de suite compris.
La photo en question, en noir et blanc, est minuscule. Grosse comme un permis de conduire. En très bon état, si on considère qu’elle est sortie de la boutique d’un photographe, il y a près de 80 ans. Quelqu’un y avait laissé un « film », probablement du « 35 millimètres » et un technicien avait d’abord « développé » ledit film avant « d’imprimer » les photos, dans le mystère d’une « chambre noire », sur du « papier photo », à grand renfort de produits chimiques.
Oui, l’iPhone a pas mal simplifié l’affaire. Mais il a aussi fait disparaître le plaisir de l’attente, la fébrilité accompagnant la réception de l’enveloppe contenant les photos imprimées et le bonheur de voir que, finalement, on n’avait pas trop manqué son coup.
En tout cas, c’est comme ça que j’imagine ma mère lorsqu’elle a enfin pu voir les photos qu’elle avait prises en Gaspésie, le 20 juillet 1946, lors de son voyage de noces (le mariage avait eu lieu le 16), en particulier celle où elle pose avec son mari tout neuf, Léo, devant la tourelle de l’hôtel le Château Blanc de Bonaventure.
Juin 2024, la préposée à l’accueil d’un hôtel gaspésien se retrouvait donc dans la délicate position de nouer le fil de la mémoire unissant deux couples prenant la pose à huit décennies d’intervalles, dans le stationnement d’un établissement de la Baie des chaleurs.
Cette photo fait partie d’un petit lot dont j’ai hérité de ma mère. Portraits de famille, images de quelques lieux visités au fil des ans et une série de très petites photos témoignant d’un Tour de la Gaspésie réalisé en 1946.
Florence avait écrit un descriptif derrière chacune d’entre elles. La première chose qui frappe, c’est la calligraphie. Les religieuses ne badinaient pas avec ça et les élèves ressortaient des couvents avec la légendaire « belle main d’écriture ».
Même sur une aussi petite surface, Florence s’était appliquée. Les « B » bien ronds, les « C » soignés, les « V » vifs.
« 20 juillet 1946. Voici une photo du Château Blanc de Bonaventure splendide, sur le bord de la mer. En face se trouve l’église. »
C’est vrai qu’en 46, il devait en imposer avec sa tourelle, le Château Blanc. Aujourd’hui, avec ses rallonges qui n’ont sûrement pas gagné un prix d’architecture, il a perdu un peu de sa superbe. Mais oui, le bord de mer y est magnifique et l’église qui se trouve en face est vraiment très belle, elle est d’ailleurs inscrite au répertoire du patrimoine du Québec.
Nous avions donc rempli notre devoir de mémoire, Mme Ménard et moi quand j’ai remarqué sur la photo un détail qui ne m’avait jamais frappé. Florence et Léo posent bien au centre du cliché mais de chaque côté d’eux, un peu en retrait comme s’ils ne voulaient pas être dans le cadrage, on voit aussi deux personnes, un homme et une femme. Ils n’ont pas l’air d’être là par hasard.
Coup de fil aux archives familiales (ma sœur Nicole) :
- Coudonc, il y avait du monde avec eux en voyage?
- Oui, notre grand-père Arthur Ménard et une des sœurs de papa.
- Le voyage de noce de Florence, avec le beau-père et une des belles-sœurs???
- Hé oui…
Autre temps, autres mœurs, me direz-vous mais tout de même. Ça change la dynamique. L’ambiance aussi. D’autant plus que, permettez-moi de « bitcher » un peu, dans la famille, la rumeur veut qu’ Arthur n’était ni un gai luron, ni un grand romantique…
Dommage que Florence n’ait pas tenu un journal intime, j’aurais payé cher pour lire, notées de sa plus belle main d’écriture, ses impressions. Le tour de la Gaspésie, c’est très très beau.
Ça peut aussi être long un petit brin.