Parti courir no 117, 20 septembre 2024
Je suis parti courir. Le cœur léger. La veille, Kamala avait complétement démoli Trump dans le débat présidentiel. Splendidement, avec assurance et humanité, elle avait réussi le double défi de démontrer ses grandes qualités et de laisser Trump se pendre au bout de la longue longue corde de sa propre stupidité.
Je repassais dans ma tête les meilleurs moments du débat quand une pensée m’a fait arrêter soudainement. Je venais de me souvenir que je devais des excuses à pas mal de monde.
Des grosses pointures : Sébastien Japrisot, Robertson Davies, David Lodge, Jacques Brel, Henri Troyat, Éric Emmanuel Schmitt, Pierre Foglia, Frédéric Beigbeder, Luis Sépulvéda et même Karl Marx.
Pendant de longues années, j’ai infligé à tout ce beau monde, bien involontairement je vous l’assure, une forme de torture littéraire.
Partager une tablette de bibliothèque avec Donald Trump.
Une tablette de bibliothèque, c’est un peu comme un bloc appartement : tu partages de l’espace avec des gens qui n’ont pas tellement de points en commun avec toi; si l’insonorisation n’est pas géniale, tu en sais un peu plus que nécessaire sur les gens de l’autre côté du mur; le niveau de salutation va du discret signe de tête au cordial « Allô! » pour toutes sortes de raisons; certains ont le volume sonore à 1, d’autres, par défaut et en tout temps, à 10; tu confierais ton chat à Elle… mais à Lui, même pas une photo dudit minou. Jamais!
Les voisins s’endurent. Dans une bibliothèque, pour autant que je sache, on n’a jamais assisté à une rébellion des bouquins d’une tablette.
À moins que…
À moins que, justement, je l’ai vécu l’autre jour, sans le réaliser sur le coup, la rébellion livresque.
Je déplaçais des livres d’une bibliothèque à une autre pour libérer de l’espace. J’arrive à une série de livres de poche. Pour aller plus vite, j’en sors une vingtaine d’un bloc en les serrant par les extrémités de la pile. Je vous jure, j’ai déjà réussi à me rendre d’un meuble à l’autre en les tenant comme ça. Pas cette fois! Explosion de livres qui se retrouvent tous pêle-mêle sur le plancher. Comme ma méthode de classement c’est « un trou, un livre », les auteurs de tous les genres et de toutes les périodes se côtoient.
Au beau milieu (curieusement, on aurait juré que les autres bouquins lui tournaient le dos), un grand sourire niais sur la couverture, nul autre que Donald Trump, co-auteur de The Art of the Deal.
%#?@9&$! J’avais acheté ça? Ben oui, j’avais acheté ça. Vu le format de poche, probablement à l’aéroport, fin des années 80. À l’époque, Trump était une demi-vedette disposant d’un certain capital de sympathie. On savait déjà qu’il ment comme il respire, il ne s’en cachait même pas, mais le livre avait été bien reçu par des publications prestigieuses comme le Time et le Rolling Stone. Alors, curieux, je l’avais acheté. Pire, lu!
Vous voulez savoir c’est quoi du dévouement? Regardez dans le Larousse, vous y verrez voir ma photo. Comme j’allais vous raconter cette histoire, je me suis dit que je devais minimalement parcourir à nouveau le livre. Dévouement? Du masochisme!
C’était déjà le Donald qu’on connaît mais avec plus de vocabulaire (pas de sa faute, le livre est co-écrit avec un vrai auteur, Tony Schwartz). Enflure verbale omniprésente. Il est l’ami de tout le monde, tout le monde veut développer des projets avec lui, toujours de retentissants succès.
Il y mentionne aussi brièvement son avocat et mentor Roy Cohn, un détestable individu qui lui a inculqué des leçons aussi pertinentes que : « si on t’attaque, tu réponds 10 fois plus fort », « tu n’admets jamais aucune faute » et « si tu mens assez longtemps, ça va finir par coller ». Merci, Roy.
J’ai placé les livres tombés par terre sur la tablette de destination, me restait à disposer de Trump. Pas question de le retourner avec les autres, ils avaient assez souffert.
L’expression « les petits gestes comptent » m’a passé par la tête. Le petit geste qui, en solo, ne change rien mais qui minimalement fait du bien et a possiblement un effet lorsqu’additionné à d’autres petits gestes.
On était au chalet de Marie-Lyne. Le foyer ronronnait. J’ai ouvert la porte, tassé quelques bûches et, enthousiaste comme un MAGA sous-scolarisé qui lance un recueil de poésie dans un bûcher, j’ai donné à cet exemplaire du The Art of the Deal une fin bien méritée.
Je vous le confirme, le petit geste fait vraiment du bien.
Citation bonus!
Elle n’a aucun rapport avec la chronique mais je viens de lire une citation tellement belle que j’ai pensé vous la partager. Je dévore présentement un livre à propos de la série télé The West Wing, dont on fête cette année les 25 ans de diffusion du premier épisode. On surnomme « Wingnut » les gens qui ont été marqués par cette série. Je suis résolument un Wingnut, catégorie AAA.
Dans la série, le comédien Martin Sheen incarne le Président américain Jed Bartlett. Dans le livre, Sheen, un individu très engagé socialement raconte l’histoire suivante :
« Un homme arrive aux portes du paradis et demande à entrer. Saint-Pierre dit : « Bien sûr, il faut juste que tu nous montres tes cicatrices ». L’homme répond : « Je n’ai pas de cicatrices ». Saint-Pierre lui réplique : « Quelle pitié. Il n’y avait donc rien qui mérite que tu te battes pour? »