No 126, 11 octobre 2025

Je suis parti courir. Quand on court, arrive un moment ou on attrape son « deuxième souffle ». C’est quand le corps embarque sur le « cruise control » et à partir de là, on peut avancer longtemps sans effort. Robert, lui, se contenterait bien d’un premier souffle, juste un bon premier souffle.

Robert est atteint d’une sale maladie aux poumons, une MPOC, maladie pulmonaire obstructive chronique. En termes pas scientifiques pour cinq cennes, ça signifie que progressivement l’air rentre de plus en plus difficilement. Imaginez ce que ça serait de d’aspirer avec une paille.

Et la paille rétrécit. Sans espoir qu’elle ne s’élargisse.

Alors, Robert a décidé de ne pas laisser trainer les choses. Il a entrepris les démarches pour une ultime grande décision, il a demandé l’aide médicale à mourir.

Le processus est long. À de multiples reprises, on vous demande si vous êtes certain, on vérifie si c’est la seule avenue possible, vous devez répondre à plusieurs critères, des médecins doivent signer. Bref, on peut bien faire la demande, les possibilités que ça s’avère inacceptable sont réelles.

Malgré sa lourdeur la démarche administrative donne parfois lieu à des moments cocasses, comme lorsqu’une secrétaire a appelé Robert pour lui annoncer joyeusement : « J’ai une bonne nouvelle pour vous! Le docteur a accepté de signer votre requête! ». Le médecin en question avait la réputation de ne pas signer facilement ce genre de demande mais de là à qualifier la chose de « bonne nouvelle »…

Alors, c’est là qu’on est rendu. Les papiers sont signés, le moment choisi.

Les adieux par internet ou téléphone, ça ne compte pas. Après quelques heures de route un samedi ensoleillé et exceptionnellement chaud nous voici, Mme Ménard et moi chez lui.

On cogne à la porte, Robert nous ouvre. On passe tout droit à la poignée de main et on s’étreint. Un peu plus fort que d’habitude, c’est sûr.

On commence à jaser, un peu sur la pointe des pieds. Vous essaierez pour voir de faire un brin de placotage sans inclure une seule banalité qui, dans le contexte, n’a rien de banal. « Tu fais quoi de beau? », « As-tu de quoi de prévu dans les prochains mois? ». On peut facilement participer au Festival du pied dans la bouche.

Mais on s’en est pas trop mal tiré. De toute façon avec la toute la visite qu’il a reçu dans les dernières semaines, il avait déjà pas mal tout entendu.

Alors on a coupé court aux lieux communs et on a parlé de tout. De la vie… et de la mort : « T’as eu une belle carrière! », « Tu te souviens d’Untel? », « Ton ex, tu es toujours en contact avec elle? », « As-tu peur? », « Comment tu vois l’après? ».

On s’est donné des tapes dans le dos à propos des années où on faisait de la formation ensemble : « On était bons! », on s’est souvenu d’amis communs, proches ou éloignés, toujours là ou déjà partis. Ça été une belle et longue conversation.

Robert nous a dit qu’il y avait au moins une bonne chose à se retrouver dans sa situation, c’est que les éloges funéraires, on est encore là pour les recevoir! Il nous aussi dit qu’il était rassuré de savoir qu’après avoir eu une belle vie, il aurait une belle mort. Philosophe, il nous a dit qu’à la fin, l’amour qui te reste, c’est celui que tu as donné. Peut-être qu’il ne le savait pas mais il paraphrasait Lennon et McCartney.

Le temps est venu de quitter, Robert avait le souffle plus court. On s’est serré plus longtemps, le temps de se dire qu’on avait été heureux de faire partie de la vie de l’autre.

On a refermé la porte.

De retour dans l’auto, on n’a pas parlé beaucoup, perdus qu’on était encore dans ce qu’on venait de vivre. J’avais une chanson des Beatles en tête, la dernière de leur dernier album. The End.

And in the end

The love you take

Is equal to the love

You gave

Et à la fin

L’amour que tu prends

Est égal à l’amour

Que tu as donné

Tu vas peut-être devoir payer pour un extra de bagages, Bob.

Screenshot

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