Parti courir, no 76. 22 septembre 2021.
Je suis parti courir. J’ai cinq ans. J’ai pas cinq ans quand je cours, dans ce temps-là, j’ai plutôt 75 (quoique si je cours toujours rendu à 75 ans, ce sera ben, ben correct). J’ai cinq ans je pense, dans le regard du p’tit gars qui me regardait passer il y a une heure, au volant d’Elton, ma Spitfire.
Arrêté sur le bord de la rue, retenu d’une main par sa mère en attendant de traverser. Un casque trois fois gros comme la tête, assis sur une minuscule bicyclette bleue. Il regardait passer ma petite voiture jaune en se disant probablement que mon jouet avait l’air aussi amusant que le sien.
C’est une des premières choses que j’ai découvert quand j’ai commencé à avoir des voitures anglaises, ce sont des machines à faire sourire le monde. Quelle soit rouge, verte ou jaune, une décapotable de 50 ans, ça amuse.
On dirait que tout le monde a une relation privilégiée avec ce genre de voiture. Spontanément, on vient vous voir pour engager la conversation. Il y a toujours un lien. Que ce soit le père, la sœur, le beau-frère ou encore le beau-frère de la sœur de son père, ils ont toujours eu dans leur entourage « une voiture pareille, pareille ».
Ou encore c’est tout simplement « quelqu’un » :
- Aille, j’ai connu quelqu’un qui en avait une pareille, pareille!
- Et…
- Ben c’est ça.
J’ai dit qu’ils engageaient la conversation. Je n’ai jamais dit que c’était toujours intéressant.
Le groupe où j’ai nettement le plus de succès, c’est chez les 4 à 7 ans. Encore récemment, j’ai eu le malheur de passer devant une école maternelle à l’heure de la promenade. Des dizaines d’enfants, attachés les uns aux autres, tenus (en laisse?) par une madame Marie-Ève, Caroline ou Dominique. Ils marchent en ligne sur le trottoir, deux par deux, quand je passe.
Les Wow! Woooo! retentissent. On me pointe du doigt, on me crie toutes sortes de choses. Pendant quelques instants, je me sens comme Freddy Mercury qui entrerait dans un bar de la rue Ontario. Je jette un coup d’œil au miroir en poursuivant mon chemin et ça confirme que madame Marie-Ève, Caroline ou Dominique aura toute la misère du monde à ramener l’ordre dans la troupe.
Ça m’étonnait tout de même un peu, cette adulation des tout-petits envers une voiture, aussi mignonne soit-elle. Est-ce qu’ils la perçoivent comme un gros Tonka, comme une cousine surdimensionnée de leur propre voiture à pédale?
J’ai fini par avoir ma réponse, tout récemment. Nous étions, Mme Ménard et moi, attablé au Saint-Hubert de Mont-Laurier. Je vous le recommande chaleureusement.
Non.
C’est un Saint-Hubert comme tous les autres, c’est pas la porte à côté, il y a des endroits plus proches pour recevoir sa dose de poulet mais bon, c’était un concours de circonstances et, pour la gastronomie, Mont-Laurier…
Donc, on est au Saint-Hubert à Mont-Laurier. Attablés pas loin de nous, deux parents avec leurs enfants, justement du groupe 4 à 7 ans. La serveuse arrive et dépose des assiettes devant les parents et, pour les enfants, deux boites en forme de voiture.
En forme de voiture!
Une décapotable jaune, comme la mienne, remplie de frites et de croquettes.
Comme les invités de Christian Bégin dans son église, j’ai eu ma révélation. Moi qui croyais être pour les enfants le summum de la « coolitude » au volant d’une Spitfire jaune, j’étais seulement un rappel grand format de leur dernier repas au restaurant.
Pas facile à admettre. Pendant tout ce temps, au fond, on m’a pris pour une grosse croquette…