Parti courir, no 44. 24 août 2020.
Je suis parti courir. À quelques centaines de mètres de la maison, je l’ai croisée. Haute comme ça, pas beaucoup plus d’un an. Le teint café au lait, une masse de cheveux frisés. On devine déjà que ça va lui coûter une fortune en coiffeuse et produits capillaires pour essayer de garder un peu d’ordre là-dedans. Une beauté.
On se dirigeait l’une vers l’autre, moi qui finissais un 10 kilomètres, elle qui maitrisait depuis pas longtemps l’art de la marche. En fait, je suis généreux quand je parle de « maîtriser » la marche. Elle est encore au stade où chaque pas annonce une chute qu’un autre pas permet d’éviter.
Son père la regardait, tellement fier que je n’ai pas osé lui mentionner qu’elle n’est quand même pas la première à réussir l’exploit, que ça fait un bon trois millions d’années* que les humains ont commencé à marcher. Ça aurait un peu gâché le moment.
Elle est sur une bonne lancée quand elle m’aperçoit. Je lui fais un grand « allô! » avec les mains, elle me répond par un immense sourire. Mais sans les mains. Je pense que ça aurait demandé trop de coordination, trop de pièces en mouvement.
J’arrive à sa hauteur et, sans avertissement, elle tourne pour essayer de me suivre. Je crois même qu’elle a tenté de passer à la vitesse supérieure mais la vitesse supérieure a décidé pour elle que ce n’était pas une bonne idée. Pas prête pour ça. Elle n’a même pas encore lu le Manuel du propriétaire.
Holà, mademoiselle! On se garde une petite gêne? On apprend d’abord à marcher et quand on est pas mal sûr de son coup, on accélère. La course, c’est pas si simple. Ça demande un peu d’entraînement. Ça vient avec des débarques, des genoux éraflés et la découverte du deal entre Band-Aid et Disney qui permet d’avoir un peu mal et être cool en même temps grâce à un pansement Mickey Mouse ou Buzz Lightyear.
(Plus tard, ça sera le Voltarin, les Advil et espadrilles à 250$ mais, encore là, je ne voudrais pas gâcher le moment).
J’ai continué mon chemin, son père l’a attrapée au vol en lui disant qu’elle est drôle, qu’elle est bonne, que c’est la meilleure au monde. Je soupçonne qu’il ne soit 100 % impartial mais, bon, qui va le contredire.
Maintenant elle marche. Bientôt elle va courir. Elle aura le reste de sa vie pour découvrir que le plus difficile, c’est d’apprendre à ne pas s’arrêter. Je le sais, vous le savez. Pas besoin de lui dire tout de suite.
On ne voudrait pas gâcher le moment.
*En fait, si vous faites un peu de recherche, vous allez trouver un tas de réponses différentes, entre deux et douze millions d’années.