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Parti courir no 82, 8 février 2022

Je suis parti courir. Au hasard, comme ça, sans trop savoir où ça me mènerait et pour combien de temps. Et, toujours au hasard, comme ça, une lecture récente m’est revenue à l’esprit. Un article de La Presse traitant d’un curieux rapprochement philosophique entre les mouvements complotistes et tous les tenants des théories Nouvel Âge.

On y citait un chercheur de l’Université McGill, Jonathan Jarry, qui disait que, pour les complotistes : « rien n’arrive par hasard, tout est relié, les apparences sont trompeuses ». 

Je n’ai pas lu ça par hasard, comme ça. Je lis toujours La Presse. Plus encore, le sujet m’intéressait parce que comme vous probablement, j’essaie bien de comprendre l’attitude des complotistes, qu’ils parlent des vaccins, de l’élection américaine, de la terre qui n’est pas ronde ou de l’écrasement provoqué de l’intérieur des tours du World Trade Center mais je n’y arrive pas. 

Enfin, presque pas.

Ma conclusion personnelle, qui vaut ce qu’elle vaut, c’est que leur principale motivation, c’est la peur. La peur du hasard.

Donnons-leur un point, le hasard, c’est épeurant en mausus. C’est terrifiant. Et formidable. Et terrifiant. Le terrain de jeu de tous les possibles, bons et mauvais.

Admettre que le hasard existe, c’est admettre qu’on n’a absolument aucun contrôle sur rien. Ça veut dire que, oui, l’enfant qui vient de naître est peut-être porteur d’un gène défectueux, qu’il est possible que la rue où vous marchez devienne momentanément le territoire de chasse d’une bande de bums armés, que le camion qui va vous croiser sur la route pourrait être conduit par un gars qui s’endort.

Mais, ça peut aussi vouloir dire que l’enfant est équipé d’une génétique qui l’amènera au-delà de 100 ans, que la seule bande qui patrouille votre rue est celle des chats du voisinage et que le gars du camion s’était arrêté quelques kilomètres plus tôt pour piquer un petit somme et prendre un café.

Aucun contrôle là-dessus. 

Pour pas mal de monde, c’est trop épeurant. Pour gérer ça ils essaient de trouver quelqu’un, quelque chose, quelque part, qui, est en contrôle de l’affaire. Insérez ici le « méchant » de votre choix : Bill Gates, l’État profond, les Chinois, les Juifs (qui, historiquement, ont eu le dos très large). Ce « méchant » a un grand plan, un sombre dessein, une idée très exacte de la situation et du futur. Il joue aux échecs en trois dimensions.

Vous pouvez aussi insérer à la place du « méchant » votre déclinaison préférée de « le Bon Dieu ». Parce que c’est aussi ça le principal argument de vente des religions. Expliquer l’inexplicable, trouver une raison au déraisonnable. Éliminer le hasard de la conversation. 

D’ailleurs, vous ferez l’exercice, tiens. La prochaine fois que vous entendrez un complotiste argumenter, essayez de transposer ça en langage religieux. Vous allez voir, ça marche. 

La plupart du temps ça marche. Évidemment, il pourrait arriver que la journée où vous allez essayer ça, vous tombiez sur l’exception qui confirme la règle, un complotiste super articulé, doté d’un vocabulaire complet et d’un air raisonnable, capable de citer un paquet de sources d’allures crédibles. Terrifiant et pas formidable.

Encore un hasard. Comme ça.