Parti courir, no 52, 21 septembre 2020
Je suis parti courir. En repassant dans ma tête un texte de Thomas Boswell.
Avant d’aller plus loin, avez-vous déjà vu le film Moneyball ? L’histoire vraie de Billy Beane, directeur-général des A’s d’Oakland, un extra-terrestre dans le monde conservateur du baseball. Il dit souvent trouver son sport tellement romantique parce que, parfois, il s’y passe exactement ce qu’on prévoyait et parfois, exactement le contraire.
Revenons à Thomas Boswell. Journaliste américain extrêmement connu, surtout pour sa couverture du baseball. Un fabuleux raconteur. Ce matin, sa chronique portait sur le début de la Série mondiale. Pour la première fois en 44 ans, il ne sera pas dans le stade, pandémie oblige.
Selon Boswell, la Série mondiale fait sortir le meilleur des joueurs comme des journalistes. C’est de l’écriture sous haute pression, souvent de la réécriture, avec les revirements de dernière minute. Parfois, les mots viennent tout seul et parfois c’est une longue bataille pour y arriver. « Il arrive que les autres journalistes vous entendent rire tout seul en écrivant, d’autre fois, vous terminez le texte avec les larmes aux yeux. Ça a l’air romantique? C’est romantique ».
Et, à l’occasion, il y a des instants de magie, comme celui qu’il rappelait ce matin.
Novembre 2001, l’Amérique vient de vivre les attaques terroristes. Après une pause de deuil, le sport professionnel a repris. Le Président Bush croyait que le pays avait besoin du sport pour revenir à la normale. Il viendra d’ailleurs faire le premier lancer lors du 3e match de la finale. Un tir parfait, sous très haute surveillance. À New York, puisque les Yankees de New York sont en finale (le romantisme, je vous disais), contre l’Arizona.
Nous sommes dans le 5e match (la veille, les Yankees ont gagné en prolongation). Arizona mène par 2-0 en fin de match. Ça semble réglé. Boswell a déjà terminé un texte qu’il s’apprête à envoyer au journal. Mais il se dit que cette partie ne peut pas finir comme ça, pas à New York, pas à l’automne 2001. Alors, par intuition, il écrit un nouveau début d’article : « Ça s’est produit encore. Ça ne devrait pas mais c’est arrivé. Dans une ville tellement souffrante qu’elle n’a pas de mots pour le décrire.»*
Boswell écrit ça alors que l’Arizona mène toujours. Quelques instants plus tard, avec deux retraits en 9emanche, un joueur plutôt obscur des Yankees, Scott Brosius, frappe un circuit de deux points pour égaler le score. Romantique, vous dites?
Mieux encore, en 12e manche, New York va marquer pour gagner la partie. Sur un jeu qui aurait dû être un retrait au marbre sauf que la balle a fait un faux bond. Boswell encore : « la balle a dévié, peut-être sur un badge de policier, peut-être sur un morceau du bracelet de montre de Babe Ruth.»
Il a écrit ça l’automne 2001, quand on était tous un peu new-yorkais et en admiration devant l’héroïsme de ses premiers répondants.
La Série mondiale débute ce soir. Tout ce que vous devez savoir sur le romantisme du baseball tient dans ceci : elle oppose les Dodgers de Los Angeles, une équipe de vedettes, aux Rays de Tampa Bay, un club pas mal plus modeste. La 2e plus grosse masse salariale de la ligue contre une des plus petites. 108 millions de dollars contre 28.
Personne ne se risquera à écrire à l’avance le dernier paragraphe.
*Traduction personnelle avec mes excuses à Thomas Boswell.