Parti courir no 125
Note : dans la prochaine histoire, le pourcentage de fiction est plus élevé que dans les chroniques habituelles. J’en ai inventé une bonne partie (mais pas tout!). Les noms des personnages n’ont pas été changés, je les trouvais trop parfaits.
Je suis parti courir. Après mes lunettes de soleil oubliées dans le chalet. Faut dire qu’elles n’ont pas servi beaucoup jusqu’ici, le soleil se fait rare à Chambord pendant notre pèlerinage annuel sur la Pointe. Les gens de la place en ont un peu ras le pompon. Ils échangeraient volontiers une semaine de canicule avec les montréalais.
Ce matin, cependant, le soleil a accepté de se manifester sur la plage, au grand plaisir de Loïc et Marilou.
Loïc, un p’tit gars de la ville, est en visite chez les grands-parents. Comme c’est toujours le cas pour les touristes de 7 ans et moins, la prise de contact avec le voisinage est facile. À quelques pas de chez Papi, il a trouvé un garçon de son âge.
Et surtout, Marilou.
Marilou passe l’été ici. Un brin plus jeune, une tête plus courte, quelques kilos plus légère. Mais personne ne s’y trompe. Marilou est la patronne de la plage. Comme le dirait les « chinois » de René-Homier Roy, elle « run le show ».
Déjà, (c’est fort l’instinct) elle semble posséder tous les trucs requis pour mener les garçons par le bout du nez : le petit rire, la simili indifférence, la capacité subtile à créer de la concurrence dans son entourage. Même la façon de prononcer le nom de sa cible : « Llloooïïïc… »
À quel âge ça commence, l’accent du Lac?
Marilou a toujours un projet. Avant-hier, sur l’heure du souper, elle s’est mise dans la tête d’organiser des courses sur la plage. Catastrophe! Loïc venait de passer à la douche et avait déjà enfilé son pyjama. Heureusement, Papi, compréhensif comme un grand-père, a accepté de faire exception à la règle en disant qu’au besoin, Loïc pourrait toujours prendre une deuxième douche après.
Le charme de Marilou frappe à tout âge. Plus tard elle est venue remercier Papi en venant lui faire la conversation au feu. Elle n’a pas encore lu Sun Tzu* mais elle sait déjà qu’il faut soigner ses alliances stratégiques. L’instinct, toujours.
Hier, c’était jour de château de sable. Madame la gérante de projet avait recruté une équipe de porteurs d’eau dont les membres rivalisaient d’efforts pour alimenter ses visions créatives. On dira ce qu’on voudra, trois petits gars motivés et quelques chaudières, ça peut mettre sérieusement à mal le niveau du Lac.
J’imagine les gestionnaires des barrages de Rio Tinto Alcan s’interroger devant la baisse subite du réservoir avant qu’un vétéran ne les rassure : « Ça vient encore de Chambord. Marilou doit être au chalet… »
À la fin, Loïc devait avoir du sable jusqu’au fond des oreilles mais ça valait la peine, les résultats étaient à la hauteur des attentes. Marilou a quitté la plage, humble mais la tête haute, portée par la satisfaction du travail accompli. Les garçons, eux, sont restés sur les lieux encore un moment, admirant le fruit de leur travail, essayant de se convaincre qu’ils avaient été davantage que des exécutants.
Cet après-midi, la plage était plus tranquille, Marilou s’était absentée, le devoir l’appelant sans doute à gérer quelques dossiers à l’extérieur. Loïc avait arpenté la plage d’une sandale moins alerte qu’à l’habitude. Même son mini quatre-roues électrique semblait manquer d’entrain. Jouer quand le leader n’est pas là n’a pas le même attrait. Construire sur la plage sans la Taillibert des châteaux de sable manque d’envergure.
Début de soirée, à l’heure où les enfants commencent à s’essouffler et les parents pensent au digestif, petits et grands se disaient que, coudonc, cette journée avait été un peu beige. Le silence était tombé sur la plage, le lac était calme comme le lac peut l’être quand ça lui tente, lorsque…
« Llloooïïïc… »
Spontanément, tous les voisins ont remis une bûche dans leurs feux.
Papi a confirmé à Loïc qu’il pourrait bien repasser sous la douche une autre fois.
*Sun Tzu, l’Art de la guerre.

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