Parti courir no 120, 23 janvier 2025
Je suis parti courir. Après Marcel Bonin qui venait de me subtiliser la rondelle. Revirement malheureux, nous étions en désavantage numérique et ça bourdonnait fort dans la zone de l’équipe « Les résidences », dans un match âprement disputé de la ligue intra-murale du Cégep de Jonquière.
Le numéro 18 m’avait enlevé la rondelle. Au Cégep, on ne connaissait évidemment pas le nom de tous les joueurs de toutes les équipes mais celui-là, tout le monde savait c’était qui.
Marcel Bonin. Ou plutôt « Marcel Bonin ».
Le souvenir est remonté à la surface avec l’annonce du décès, il y a quelques jours de Marcel Bonin, 91 ans, hockeyeur joliment surnommé l’Ours de Joliette. Solide joueur, batailleur, détenteur de quatre bagues de la Coupe Stanley dont trois remportées avec les Canadiens. Il avait aussi joué à Boston et Détroit.
Surtout, Marcel Bonin, c’était un personnage. Surnommé l’Ours parce qu’il avait déjà lutté avec un, lors du passage d’un cirque dans son patelin. Il s’amusait aussi à manger… du verre! À la retraite, il avait été policier puis intervenant en toxicomanie dans les écoles. Grand historien amateur, il possédait selon ses dires une bibliothèque de plus de 2600 livres sur l’histoire de la Nouvelle-France.
Mais de là à dire qu’il avait un homonyme dans la ligue du Cégep? Surtout un « faux » homonyme, quelqu’un qui avait décidé de jouer sous un faux nom pour rendre hommage à son idole? Hé oui, dans une ligue de Cégep des années 70, ça se pouvait très bien.
D’où le « Marcel Bonin », numéro 18, qu’on affrontait régulièrement.
Une nouveauté parmi tant d’autres pour moi cet hiver-là. 1974, ma première année à Jonquière, ma première année à jouer toute une saison dans un aréna! À Chambord, le Centre Marius-Sauvageau* n’avait pas été encore construit et on jouait toujours nos matches locaux dehors.
À Jonquière, la ligue du Cégep utilisait un grand aréna, le Palais des sports, avec des vraies chambres, des douches, une Zamboni et même du vrai équipement, le Cégep ayant acheté le matériel des Rangers de Drummondville, équipe junior majeure qui venait de cesser ses opérations. Nous avions donc de l’équipement pas neuf, malodorant mais de calibre professionnel. Avec les kits de chandails bleus et blancs des Rangers, uniforme qui est resté pour moi le plus beau.
Bien des nouveautés pour un jeunot de village qui essayait de pas trop faire voir que tout cela l’impressionnait.
Autre chose qui l’impressionnait, c’était le calibre. Beaucoup d’anciens juniors régionaux, ça patinait vite et fort. On jouait contact, avec mises en échec. Je tenais mon bout mais tout juste.
Et il y avait des baies vitrées au Palais des sports.
Je dis ça parce qu’à Chambord, si tu levais les yeux dans le coin de la patinoire pour voir tes options, tu voyais… un grillage genre « cage à poules » et souvent, à travers la grille, Gros Georges Fortin, l’infatigable préposé à l’entretien de la patinoire, accoté sur sa gratte en attendant la fin de la période. Utile, certes, mais pas pour prendre de l’information sur la position des adversaires.
Tandis qu’à Jonquière, j’avais vite appris que la baie vitrée permet de voir venir le trouble, que ce soit un « Marcel Bonin » ou un train sous la forme d’un gars rapide et très costaud qui jouait pour l’option Mécanique du Bâtiment (nos ennemis jurés).
Je me souviens de lui parce que justement, un soir, je suis arrivé dans le coin, j’ai levé les yeux dans la baie vitrée, je l’ai vu arriver avec nulle part où m’en aller. Où est Gros Georges? J’ai eu le temps de penser : « Oh, shit… » et les lumières se sont éteintes.
Quand elles se sont rallumées, j’étais sur les genoux dans le coin. J’ai voulu faire voir de rien, j’ai redressé mon casque d’un bon demi-tour et je suis rentré au banc, debout mais les genoux mous. « Es-tu correct? », « J’pense que oui ». « Ménard, tu prends le prochain shift! » C’était le protocole de gestion des commotions cérébrales à l’époque.
C’est traître les commotions cérébrales. Alors quand je vous dis que j’ai joué contre un « Marcel Bonin » à Jonquière… possible. Possible aussi que ce soit un souvenir imprimé dans la bande du Palais des sports par le train de Mécanique du bâtiment.
Mais ce serait tout de même dommage que j’aie seulement rêvé de ce gars qui avait décidé de jouer sous un faux nom pour rendre son hommage personnel à un Ours de Joliette.
*Si l’origine du nom vous intrigue, je vous réfère à cette chronique qui date de septembre 2020 : https://particourir.com/category/archives/septembre-2020/
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