Parti courir no 109. 4 décembre 2023

Je suis parti courir. Courir après Raphaëlle Germain, dans la mer de monde arpentant les couloirs du Salon du livre de Montréal. Coup de chance, après quelques détours au hasard, je tombe sur son kiosque chez Québec Amérique. Re-coup de chance, elle est juste assez occupée. Je reviendrai tantôt au « juste assez occupée ».

Je voulais lui dire que j’avais beaucoup aimé son dernier livre, « Forteresses et autres refuges ». Elle écrit vraiment bien. Une écriture travaillée, efficace, avec une belle recherche de vocabulaire et une grande qualité de ponctuation. 

Oui, j’admets être un peu tata là-dessus, j’aime les auteurs qui savent ponctuer. C’est la première chose que j’ai dite à Raphaëlle Germain. Elle a d’abord accueilli le compliment avec un petit étonnement (j’ai vu dans ses yeux qu’on la félicite rarement pour ses placements de virgules). Elle a ensuite apprécié, je crois, qu’un lecteur prête attention à ce détail.

Après, je lui ai mentionné qu’elle a une écriture « sportive ». J’ai encore vu passer dans ses yeux quelque chose comme « gentil mais décidément un peu weird ». J’ai dû lui expliquer que, dans mes années de lecteur à la Magnétothèque*, qualifier un livre de « sportif » c’était un compliment. On parlait d’un bouquin bien écrit, avec des changements de tons et des phrases parfois longues mais cohérentes, le genre de texte qui constitue un défi pour qui doit le lire à voix haute, sans erreur, du premier coup. 

J’ai laissé l’auteure là-dessus, d’autres derrière moi attendaient pour la complimenter. Plus simplement, j’en suis certain. Elle était, comme je l’écrivais plus tôt, « juste assez occupée ». Pas aux prises avec l’émeute annuelle que suscite la présence de Janette Bertrand, pas esseulée laissant passer le trafic.

Quand on fait partie de cette dernière catégorie (je sais de quoi je parle), on développe une attitude particulière. Œil un peu flou, vague sourire, on regarde devant soi, espérant qu’un lecteur s’attarde devant votre livre, le temps d’une petite jasette. L’idée n’est pas de vendre une copie. Compléter les 60 minutes de la séance de dédicaces pas trop humilié serait déjà un gros plus.

Pour la très grande majorité des auteurs, un Salon du livre, c’est l’occasion d’une solide mise à jour de l’égo.

Ceci dit, il y a plein de bons moments au Salon. Les amis qu’on rencontre dans le contexte d’une méga librairie alors on parle de livre. Tous les titres dont on n’a jamais entendu parler et qui semblent tellement intéressants. Les conférences qui prouvent que les écrivains et les écrivaines ne sont pas seulement bons à l’écrit, ils sont très souvent excellents pour parler de leurs œuvres ainsi que des livres et auteurs qu’ils admirent. 

Et puis, parlant de conférences, il y a ces moments qui ne peuvent arriver que dans un Salon. Prenez Zachary Richard. Auteur d’un premier roman (Les rafales du carême), il faisait une conférence à propos de ses influences culturelles, au kiosque de la Louisiane, un kiosque donnant sur le couloir menant aux toilettes publiques. Comme la nature m’y appelait, je suis passé tout droit devant Zachary. 

Étonnamment, on l’entendait encore très bien dans les toilettes. 

Quand je parlais de moments uniques. Imaginez la scène (pas trop dans les détails, tout de même) : Je suis installé devant un urinoir, pendant que Zachary Richard, avec son formidable accent Cajun, finit de déclamer des Haïku japonais. Une performance bien accueillie que le public a récompensé par d’enthousiastes applaudissements.

Pour ma part, bien malgré moi, je n’ai pu me joindre aux applaudissements, pour des raisons aussi évidentes qu’indépendantes de ma volonté.

Un moment. Seulement au Salon du livre, vous disais-je.

*La Magnétothèque, maintenant connue sous le nom de Vues et Voix, est une organisation à but non-lucratif qui produit des versions audio de livres, à l’usage des personnes qu’un handicap empêche d’utiliser la version écrite.