Parti courir no 107, 17 octobre 2023
Je suis parti courir. Après la rondelle, dans le fond de la zone. Noémie avait manqué sa passe. Noémie a 13 ans et environ 17 minutes d’expérience au hockey. J’ai 66 ans, 60 ans d’expérience, je manque encore ma large part de passes, alors je peux bien excuser une recrue de me faire courir un peu.
Je précise tout de suite que je ne joue pas dans une ligue d’adolescentes. Non, c’est plutôt le hasard qui m’a placé du même côté de la ligne rouge que Noémie. Le hasard et le désir de retrouver mes réflexes de hockey. Du moins ce qui en reste, à ce stade-ci de ma « carrière ».
Pour ceux qui tiennent des statistiques, j’ai amorcé ladite carrière autour de 1963, sur la glace extérieure de Chambord. On y jouait 12 contre 12, une rondelle pour toute la gang. Au plus fort la puck. Pour ce qui est du hockey organisé, c’est cinq ans plus tard.
Organisé? C’est un grand mot. À Chambord, dans ce temps-là, si vous aviez des patins, vous étiez dans le club!
Organisé? Pas tout-à-fait. Nous, les fiers Pee-wee, portions un uniforme rouge. Correction, plusieurs uniformes rouges. La municipalité avait des moyens très limités. Faute de budget pour un ensemble de chandails, quelqu’un avait eu l’idée de génie d’acheter tous les chandails rouges en surplus dans les magasins du coin. Peu importe le modèle, du moment qu’ils étaient rouges. Et pas chers.
Pas chic chic? Je vous le confirme! Pas besoin de me croire sur parole, j’en ai la preuve. Le karma veut que la seule photo qui me reste de mes années de hockey à Chambord en soit une de cette équipe Pee-wee. Dix p’tits gars, bravant le froid dans leurs chandails rouges mélangés.
Sur la photo, je suis dans le coin en bas à droite. Les observateurs les plus perspicaces auront remarqué que j’étais déjà un jeune homme responsable, puisqu’on m’avait nommé assistant-capitaine. Possible aussi qu’il y avait déjà un « A » collé sur ce chandail acheté en liquidation. À ce prix-là, on n’est pas regardant sur ce genre de détail.
J’aurais raconté ça à Noémie qu’elle ne m’aurait jamais cru. Mais on n’a pas eu le temps de parler du bon vieux temps ou de quoi que ce soit d’autre. Je connais vraiment très peu de chose d’elle. On s’est rencontré sur la glace lors d’une session de « bâton-rondelle » à l’aréna local. Pour les non-initiés, « bâton-rondelle », c’est un moment où n’importe qui peut aller sur la patinoire et pratiquer, vous l’aurez deviné… avec un bâton et une rondelle. Idéal pour se préparer à rejoindre sa ligue de garage.
Un mardi avant-midi, on était quatre. Un trentenaire désirant se remettre au hockey après une pause de sept ans, deux filles d’environ 13 ans et moi. Après une quinzaine de minutes chacun de son côté, j’ai demandé aux trois autres s’ils voulaient jouer un 2 contre 2. Tout le monde a dit oui. On s’est présenté et j ’ai fait le partage des forces en présences :
- Moi : Toi et moi contre eux deux?
- Noémie : On n’est pas très bonnes…
- Moi : Ça tombe bien, nous non plus!
- Mégane : En fait, Noémie, c’est la première fois qu’elle essaie de jouer au hockey…
- Moi : Super, faut commencer quelque part.
Pendant une trentaine de minutes, on s’est échangé la rondelle, multipliant montées, passes et lancers, parfois très approximatifs, parfois, assez réussis pour susciter un « Wouhouh! » admiratif des consoeurs et du collègue. J’ai même eu le temps d’apprendre à Noémie l’ABC de la réception en douceur d’une passe.
Il y a quelques années, je jouais avec un gars qui trouvait inadmissible la place que prenait le hockey dans les pages des journaux. « Un peuple de pousseux de pucks », disait-il.
L’expression m’est revenue à l’esprit quand je nous voyais sur la glace, quatre patineurs et patineuses que rien ne rapprochait, sauf un langage commun, celui de la rondelle.
Rien sauf leur appartenance au « peuple des pousseux de pucks ».
La Zamboni a fini par nous interrompre. J’ai quitté la glace, remercié les partenaires et pris le temps de dire à Noémie qu’elle devrait s’inscrire dans une ligue, qu’elle a du talent.
Je suis sorti de l’aréna, fatigué de ma session mais fier d’avoir amené une Noémie à faire partie du « peuple des pousseuses de pucks ».
Sur la photo, les Pee-wee de la saison 1968-1969 de Chambord : Rangée arrière, Claude Lavoie, André Bolduc, un p’tit gars avec un manche de hockey dans le visage que je ne replace pas, Marc Lavoie, Jean Delaunière, Jean Doré, le coach Pierre Patenaude et Jean-François Boudreault. Rangée avant, Pierre Chiasson, Claude « Coppeurse » Fortin et Guy Ménard.