Parti courir, no 78. 24 octobre 2021.
Je suis parti courir. Après un tournevis. Je n’entrerai pas dans les détails, c’était jour de fermeture de piscine. La fin officielle et définitive de l’été. Heureusement, le côté tristounet de l’affaire était contrebalancé par de la musique.
De la vieille musique. Venant de loin et d’il y a longtemps.
Fin des années 60, début 70. J’ai un minuscule récepteur de radio. Quand je dis minuscule, pas plus gros qu’une boite d’allumette. Mon frère Jean, grand amateur de gadget, l’avait trouvé, allez-donc savoir où. L’appareil est si petit qu’il n’a pas de haut-parleur, juste un écouteur. À ce format, vous imaginez le peu d’efficacité de l’antenne.
Dans le jour, les options de stations de radio étaient CHRL, de Roberval et… c’est pas mal ça. CHRL de Roberval. Mais la nuit! En tournant très délicatement le syntoniseur presque jusqu’à la fin du cadran AM je captais la fréquence 1520, WKBW Buffalo.
Dans mes oreilles unilingues du Lac, ça sonnait comme « Dâbeulle you- Quai-Bi-Dâbeulle you / Bâfolo ». Bâfolo! Avec un nom comme ça, on imagine bien que c’est au bout du monde, ça, Bâfolo!
Je ne comprenais rien à ce que les disc-jockeys pouvaient bien dire. Je finissais tout au plus par déduire, à force de répétition, le nom des plus populaires. Parfois le titre d’une chanson. Pas grave. L’important c’était la musique. Du palmarès (j’ai aussi fini par comprendre le sens de l’expression Top 40), bien en avant de tout ce qu’on entendait ici.
Ça sonnait comme ça:
Poussé par ce souvenir, hier, j’ai fait un peu de recherche. WKBW était dotée d’un émetteur très puissant. Si bien que la nuit venue, comme les ondes AM voyagent beaucoup, la station couvrait un immense territoire. Facilement tout le Nord-Est des États-Unis, l’Ontario et le Québec. En plus, il parait qu’un cours d’eau comme le lac Saint-Jean fait office d’antenne naturelle. Rien de surprenant, donc, à ce que les voix de Don Berns, Bob McRae et Casey Piotrowski se rendent jusqu’à Chambord.
La nuit, dans le noir de ma chambre, je finissais toujours par trouver le 1520 dans un océan de statique pour franchir les kilomètres me séparant du bout du monde, de Buffalo. J’y ai tout entendu : Les Beatles et les Stones, du Motown et du folk, ceux qui ont eu des grandes carrières et les « One Hit Wonders »*.
Inspiré par les voix venues de loin, j’ai saisi dès que j’ai pu, le seul microphone disponible à Chambord, celui de l’annonceur des parties de balle-molle au stade local :
- Balle. Compte égal, 2 et 2
- Débutant la troisième manche, les premiers frappeurs seront…
- Après cinq manches, le pointage est maintenant…
Glorieux comme job? Je ne vous le fais pas dire. Un auditoire captif de quelques dizaines d’amateurs et une sonorisation qui projette pas plus loin que le champ centre.
N’empêche que c’est ce micro-là qui m’a poussé à m’inscrire au Cégep en communications et que j’ai ensuite travaillé toute ma vie dans ce domaine.
Bon, ça ne manque jamais le coup. Je vous raconte une histoire et je finis par ajouter un item à cocher sur ma liste des choses à faire.
Nouvel ajout :
- Faire un pèlerinage au site d’un super émetteur, à Bâfolo.
Si je suis chanceux, je devrais y reconnaître la voix de quelques fantômes dans la nuit.
*One Hit Wonders : les artistes qui ont connu un succès… et dont on n’a plus jamais entendu parler.
Note : Avec mes remerciements à Alain Gauthier et François Lafortune, dont les souvenirs de radio sur Facebook m’ont inspiré cette chronique.