No 104
L’agence spatiale de Chambord
Je suis parti courir. Après le réservoir d’oxygène d’appoint égaré par Doug Davis, quelque part autour de la base lunaire. J’ai eu beau en parler avec son chef d’équipage, le Major Matt Mason, rien à faire, Davis, un civil, a tendance à être « dans la lune ». Curieusement, en expédition lunaire, être « dans la lune » ce n’est pas une qualité!
Gérer Doug Davis faisait partie de mes préoccupations quotidiennes, en tant que grand patron de l’Agence spatiale de Chambord.
J’avais 9 ans, la base « lunaire » occupait le 2e étage d’un placard au fond d’un couloir de la maison familiale. Ma mère, sympathique à ma passion pour l’exploration spatiale, avait accepté de me céder le territoire en relocalisant catalognes et couvertures.
Je passais des heures devant ce placard, à inventer les missions des statuettes du Major Matt Mason, l’équivalent d’un G.I. Joe de la NASA. Comme mes parents n’étaient pas fortunés, je soupçonne ma grande sœur Nicole d’avoir souvent mis la main dans ses poches pour augmenter l’équipement de la base. Notamment un scaphandre pour explorer sur de longues distances, des scooters individuels et même des fusils lasers, une précaution, on ne sait jamais dans un placard, un extraterrestre est si vite arrivé.
Il y avait également un assortiment d’accessoires « maison » bricolés par le grand patron de l’Agence, avec plus d’amour et d’imagination que d’habilité. Des accessoires créés de toute pièce avec des emballages d’échantillons de médicaments que me fournissait un oncle médecin.
Là, vous venez de lire ça, une lumière s’allume. « Son oncle médecin lui fournissait des échantillons de médicaments? ». Oui. Autre temps, autres mœurs. Les représentants pharmaceutiques lui en laissaient. Ceux dont il ne se servait pas, il me les mettait de côté parce que les emballages étaient originaux avec des formes de plastique que je pouvais adapter à mon gré. Par exemple, des tubes de vitamines étaient devenus le réservoir d’oxygène qu’égarait sans cesse Doug Davis sur ma lune.
Note : tous les médicaments se retrouvaient évidemment à la poubelle, mon oncle me faisait confiance. N’empêche, un médecin qui ferait ça aujourd’hui aurait la DPJ, l’Ordre des pharmaciens et le Collège des médecins dans les pattes. Autre temps, autres mœurs, je disais!
Je vous raconte tout ça parce que j’ai récemment eu la chance d’aller visiter mes collègues (!) de la vraie ASC, l’Agence spatiale canadienne, un joyau des technologies spatiales située tout près de chez moi à Saint-Hubert. Comme c’est plutôt secret, n’y entre pas qui veut. Mais j’avais un contact, Marie-Hélène Cyr, que j’ai connue grâce aux Salons du livre, lors des séances de signatures.
Dans ses temps libres, en dehors du travail, Marie-Hélène publie des livres jeunesse chez mon éditeur, Éditions Victor et Anaïs. Des séries qui s’adressent à différents âges avec une chose en commun, un lien avec l’espace. Comme je suis amateur (vous le savez maintenant), je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander pourquoi. Elle est beaucoup plus jeune que moi et n’a pas connu en direct la période romantique de la conquête de la lune.
« Je suis ingénieure à l’Agence spatiale canadienne. L’espace, c’est mon travail et ma passion ». Rien que ça. Madame trouve le temps d’écrire des livres le soir, tout en contribuant à des activités spatiales le jour. Après le bombardement de questions à laquelle je l’ai soumise, elle a dû se dire que la meilleure façon d’y couper court était de m’inviter :
– Marie-Hélène : Est-ce que tu aimerais ça, une visite privée de l’Agence spatiale canadienne?
– Moi : SI J’AIMERAIS ÇA ???
– Marie-Hélène : C’est bien ce que je pensais, je t’organise ça.
Et c’est comme ça qu’on s’est retrouvés, Mme Ménard et moi, à visiter ce labyrinthe qu’est l’Agence, guidés en VIP par Marie-Hélène et aidée d’un collègue, Louis Paul, un ingénieur d’opérations. Quelques heures de bonheur. À la fois retour en enfance et bond dans le futur, ma fascination pour cet univers n’a jamais faibli. J’ai eu droit à une explication détaillée de la contribution canadienne à la Station spatiale internationale et à la science qu’on y pratique, une discussion sur le vol Artemis II à venir avec le premier Canadien à faire le tour de la lune, Jeremy Hansen, une vue sur la salle de contrôle du bras canadien et même une présentation sur les raisons pour lesquelles on fait de la science à bord de la SSI. Je tiens à le préciser : j’ai été extrêmement privilégié, car Marie-Hélène n’offre pas de visites à qui le veut, elle doit connaître les gens qu’elle invite. Et elle a vu à quel point je suis un fervent de l’exploration spatiale!
Je ne vous raconterai pas tout, mais je peux vous dire la chose la plus formidable : les gens de l’Agence spatiale canadienne sont aussi enthousiastes que je l’étais dans mes années de l’Agence spatiale de Chambord. Oui, ils occupent un peu plus de place que la 2e tablette d’un placard, leur budget est sûrement supérieur aux moyens de ma grande sœur, mais je peux vous assurer que ces gens-là ne rentrent pas au travail de reculons!
Je regrette cependant de ne pas leur avoir demandé si quelqu’un à Saint-Hubert a un oncle médecin qui fournit le département de bricolage? À bien y penser, autant ne pas poser la question, la réponse serait sûrement Top Secrète.
4 commentaires
Benoit Bouchard · 24 juin 2023 à 19h30
Guy. Quand tu es politicien aujourd’hui ou que tu l’as été à la fin du XXème siècle, tu ne dois pas être fier de quoi que soit. Si tu y fais référence les médias sociaux se chargent de te remettre à ta place. Mais s’il y a une réalisation dont je suis fier c’est d’avoir,comme ministre de L’Industrie, placé l’Agence Spatiale Canadienne à St Hubert;en 1990-91 si je me rappelle bien. ll y avait évidemment bien des provinces candidates. Mais avec l’aide de Lucien Bouchard et de son ami Brian Mulroney(oui c’était avant Meech Lake) St Hubert est devenu le centre des activités spatiales canadiennes. En fait, je ne l’ai jamais visité et je suis trop âgé maintenant pour le faire. Je vais me contenter d’en rêver et te faire confiance.
Mes salutations à Mme De Launière.
Guy Ménard · 25 juin 2023 à 20h16
Dommage que vous n’ayez pu le visiter, ça vaut le détour. Je demandais justement à mes guides si on savait « pourquoi St-Hubert ? ». Ce n’était vraiment pas clair pour eux. Content de savoir que vous faites partie de cette histoire!
yves bernard · 25 juin 2023 à 17h48
Tu n’as jamais été terre à terre, je comprends pourquoi maintenant. Salutations.
Guy Ménard · 25 juin 2023 à 20h16
En orbite, mon Yves. En orbite!
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