Version audio

Parti courir, no 94, 25 septembre 2022

Note : je prévoyais écrire cette chronique en juillet mais j’ai procrastiné. Alors que l’été achève, une lectrice qui me demandait des nouvelles d’Elton m’a rappelé à mes devoirs. Cette voiture, devenue un personnage récurrent des chroniques, méritait bien un dernier épisode.

Je suis parti courir. Derrière Elton le Spitfire, pour une dernière fois. Il était dans son habitat naturel, le plateau d’une remorqueuse.

Après trois saisons de « plus souvent arrêté que sur la route », j’ai fini par me résoudre à l’évidence, Elton et moi, ça ne pouvait plus marcher. Surtout, Elton ne « marchait » pas si souvent que ça. Une voiture formidable qui refuse de rouler, c’est beaucoup moins formidable. 

On ne pourra pas me reprocher d’avoir abandonné facilement. Mon abonnement CAA de luxe a été maintes fois rentabilisé. Mme Ménard a fait le plein d’anecdotes de remorquage pour le reste de nos jours. Son plus gros succès, « Un dimanche après-midi, dans la voie de gauche à l’entrée d’Hyppolyte-Lafontaine » ne manque jamais d’attirer son lot de commentaires empathiques. Et souvent la question : « Pourquoi si longtemps? »

Parce que.

Il n’y en a pas de réponse rationnelle. Dans la gamme des diagnostiques en santé mentale, on appellerait ça un TATF, un « trouble d’attachement à un tas de ferraille ». 

Cette voiture était hantée. Conclusion inspirée par « Un monde sans fin » de Ken Follett. Bon livre un peu longuet, 1400 pages en format poche. Pas juste le monde, le roman aussi est sans fin.

On y parle des guerres entre Français et Anglais, en l’an 1300 quelques. Ce qui m’a amené à penser qu’un soldat anglais a résolu de faire suer (je reste poli) ses ennemis au-delà de l’an 2000. Un de ses descendants a dû se retrouver mécano à l’usine Triumph. Il a jeté un mauvais sort à un Spitfire, mauvais sort s’appliquant le jour où la voiture tomberait entre les mains du descendant d’un Français ayant combattu en 1300 quelques.

Vous devinez la suite. Comme le chantait Charlebois : « Cauchemar, mauvais sort! » Tout ce qui pouvait possiblement mal aller s’est manifesté. J’ai découvert des façons inédites de tomber en panne. 

Le fun s’était transformé en stress. Je roulais en vérifiant constamment la pression d’huile et la température. J’écoutais le moteur dans la crainte d’un hoquet. Dès que j’arrêtais quelque part, je m’inquiétais à l’idée que la voiture ne redémarre pas. 

Je m’étais donné l’été pour penser à mon affaire mais finalement, Elton m’a fait un dernier soubresaut, mi-juillet, la goutte qui fait déborder le vase. À partir de là, les choses se sont enclenchées rapidement. J’avais déjà un acheteur potentiel.

Vous connaissez déjà Robert et Sylvie, propriétaires d’un garage spécialisé, des passionnés de vieilles anglaises (voir chronique no 30). Robert a convaincu Sylvie que ça valait la peine d’ajouter une autre Triumph à leur flotte. Comme elle aime les voitures autant que lui, ça n’a pas dû être trop difficile. Elton allait avoir une bonne famille d’adoption.

Le 24 juillet, ils sont venus récupérer l’auto. Par la même occasion ils ont rencontré son successeur, la version « risque zéro » des petits roadsters, une Mazda MX-5. Elle n’a pas la classe d’un Spitfire, les enfants ne s’exclament pas sur son passage mais elle démarre. Toujours. Le moteur ne fait pas de hoquet et je n’ai pas besoin de surveiller constamment les cadrans. On a tendance à sous-estimer le plaisir de rouler sans inquiétude. Moi plus jamais.

J’espère juste que Robert et Sylvie n’ont pas dans leur arbre généalogique, des ancêtres qui ferraillaient contre les Anglais, en 1300 quelques. 

Mazda, eux, ils n’ont jamais eu une usine en Angleterre?


1 commentaire

Denis Richer · 27 septembre 2022 à 10h22

Il n’y a pas de raison logique de posséder une anglaise à part le coup de coeur pour le modèle… Pour moi, c’en était assez des surprises d’avant un départ pour une belle randonnée… Souvent des équipements qui n’avisent pas au préalable leur fin de vie et te plaque comme ça au jour du départ…
Alors je me suis retourné vers une allemande beaucoup plus jeune et fiable… Maintenant on peut respecter l’horaire de la randonnée sans être inquiet d’une défaillance inpromptue…
Merci pour ton « parti courir »

Les commentaires sont fermés.