Partir courir, no 10. 13 avril 2020.
Je suis parti courir. Je ne fais pas toujours le même parcours mais au retour, je finis souvent par la même rue qui me ramène vers la maison. La rue Des Carrières. Aujourd’hui on n’y trouve plus des carrières mais plutôt de la bière. C’est là qu’est située l’usine Unibroue, l’ex-microbrasserie qui appartient maintenant à Sapporo, la multinationale japonaise. Je sais, si vous buviez de la « Blanche de Chambly » en ayant en tête une image de sympathique brasseur artisanal penché sur du matériel improvisé dans un garage semi-hygiénique, je pète votre bulle. Unibroue, c’est une usine.
Comme Chambly a connu un développement un peu anarchique, il y a sur la même rue, une brasserie industrielle, des maisons qui datent de 100 ans, quelques autres plus modernes et un chat. Que j’ai surnommé Jean-Paul.
Jean-Paul, c’est pas un chat « cute » de Facebook. Soyons franc, il a l’air bête. Un solide air bête! C’est un chat mais personne n’a pensé lui dire, à lui, que c’est un chat. Dans sa tête, c’est un agent de sécurité. Un bounceur. Sur la liste de paie de Garda ou d’un caïd. Une attitude de doberman, une tête de tueur. Noir et blanc. Rien de symétrique dans le poil. Jean-Paul, c’est pas un doux.
Donc, tu arrives presqu’à la fin de parcours sur la rue Des Carrières. Un coup d’œil à la montre : sept kilomètres complétés en un temps très correct, tu te donnes une petite tape dans le dos. Moins de cinq minutes à faire.
Tout à coup, tu aperçois Jean-Paul. Il est dans ta ligne. Sur SON territoire.
On s’entend, je pèse environ 80 kilos, Jean-Paul peut-être huit. J’arrive à la course, Jean-Paul est bien assis. J’ai l’avantage du poids, j’ai un bon élan… pas grave, il ne bougera pas! Je regarde Jean-Paul dans les yeux. J’y lis : « c’est ma rue, c’est moi qui mène. Toi, le tarlais en culottes serrées, tu te tasses. »
Essoufflé ou pas je cède. Faut reconnaître qui est le boss du quartier. Je n’ose même pas faire le fanfaron et passer un peu proche. Tu niaises pas avec Jean-Paul. J’ai l’impression que c’est le genre de chat à mal le prendre et t’arracher une espadrille, juste pour passer un message.
Je m’éloigne, quitte à rallonger un brin le parcours et j’arrive à la maison. Mon chat, Gaston, vient se frotter sur mes mollets en signe de bienvenue. « Heuh… Gaston, un chat qui s’appelle Jean-Paul, c’est pas un de tes chums j’espère? »