Parti courir no 122. 9 mai 2025.
Je suis parti courir. En me donnant des tapes dans le dos. Ici je vous laisse quelques secondes pour vous faire une image… mais non, je ne me donnais pas des tapes dans le dos pour vrai. C’est juste une façon de parler. Vous me décevez un peu là. Vous me voyez, essayer de courir en me contorsionnant comme ça?
Probablement, oui, et je n’en suis pas vraiment fier.
Bref, des tapes dans le dos mais dans ma tête seulement, parce je venais d’avoir ce que je crois être vraiment une bonne idée.
À la radio, le ministre Drainville parlait des cellulaires bientôt bannis des écoles pour forcer les jeunes à communiquer entre eux directement, à socialiser réellement, sans intermédiaire numérique.
Excellente idée, que je me disais, imaginant des jeunes allumés et ricaneurs en train de jaser dans tous les coins de leur école, occupés à refaire le monde ou l’horaire de la journée, critiquer une chanson à la mode ou les travaux exigés par un prof, prendre position sur un enjeu de société ou le menu du jour.
Jaser, quoi.
Et c’est là que ça m’a frappé : pourquoi se limiter aux jeunes? Pourquoi ne pas se demander la même chose ? J’imagine déjà les restaurants, les salles d’attentes et autres lieux publics avec un grand panneau « cellulaires interdits » dans le seul but de forcer les utilisateurs à y vivre dans le vrai monde, pas dans le Cloud, à se sortir la tête des applications du téléphone pour regarder autour de soi et, pourquoi pas, engager la conversation avec un voisin.
J’ai déjà un nom pour ça, Le Grand Sevrage.
Ça marche, je l’ai vécu récemment. Dans une cafétéria, je venais de me prendre un café. Je m’assois à une grande table commune. Évidemment, la première chose que je fais c’est sortir mon iPhone quand un monsieur assis presque en face à la même table me fait une remarque amusante à propos du café.
Rien de super original. Juste une remarque amusante à propos du café. J’ai renvoyé la balle, quelque chose de pas plus original… et on s’est mis à parler, de tout et de rien, pendant une quinzaine de minutes.
Il attendait sa dame qui avait un rendez-vous, avait déjà habité dans mon coin, sa fille unique prenait les rênes de la compagnie familiale avec les difficultés que le passage d’une génération à une autre entraîne inévitablement, il en connaissait un bout sur l’immobilier et les voyages.
Bon joueur, il posait autant de questions qu’il donnait de réponses. Je lui ai raconté qu’on vendait la maison pour se relocaliser en condo, que nous étions des sportifs, que ma dame aurait bientôt un genou neuf et que notre fille se faisait tabasser et garrocher dans une fourgonnette pour les besoins de la télévision (ça, j’avoue, ça demande toujours quelques explications supplémentaires) et qu’on arrivait de l’Espagne.
Quinze minutes ont passé en quinze secondes. J’ai dû m’excuser, l’heure de mon rendez-vous approchait. Je l’ai salué sans même connaître son nom mais le pied un peu plus léger qu’un quart d’heure plus tôt.
Je venais de vivre, mesdames et messieurs, une authentique interaction humaine.
Avec le Grand Sevrage, nous allons devoir réapprendre l’art de la « conversation banale ». Dans ma tête, la « conversation banale » c’est une coche de mieux que les quelques phrases qu’on utilise souvent pour briser le silence, généralement à propos de la météo, des trous dans les routes et des Canadiens.
On vise le Small Talk, l’expression anglaise pour laquelle j’ai trouvé une jolie traduction, le « menu propos ». Menu propos! À quelque part entre l’insignifiance et l’importance.
Vous me direz ne pas être très doué pour ce genre de conversation? Pas de problème, j’ai pour vous une excellente recette qui tient en peu de mots : écoutez l’autre. Prêtez vraiment attention à la réponse de la personne en face et cette réponse vous inspirera très souvent une nouvelle question. C’est la recette des meilleurs intervieweurs. Ils n’ont pas un plan d’entrevue très élaboré. Ils écoutent et relancent la conversation.
Pendant des années, j’ai eu le plaisir de faire partie de l’équipe de formateurs d’un collègue et ami, Robert Pelletier. Nous formions des gens de tous les horizons professionnels à l’art de l’entrevue. Robert, un grand pro du domaine, avait une excellente expression pour résumer cette dynamique, il disait qu’elle lui venait de sa mère : « On a seulement UNE bouche mais on a DEUX oreilles. C’est pas pour rien ».
On est bien fait pareil.
Ceci dit, seriez-vous prêt, vous, à essayer le Grand Sevrage?

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