Parti courir no 128, 21 décembre 2025

Je suis parti courir. Après mes clés. C’est plus fort que moi. Depuis plus de quarante ans, j’entends cette chanson à la radio, je cherche mes clés. 

Pas pour ouvrir une porte ou démarrer l’auto. 

Plutôt pour les agiter doucement, façon clochettes, en guise d’accompagnement à John Lennon sur « Happy Xmas (War is Over) ».

C’est comme ça depuis un souper du Temps des fêtes au chalet de François, dans le Portage-des-roches à Laterrière. Le père de François y avait construit dans les années 60 un chalet que seul un artiste pouvait imaginer. Ébéniste formé à l’École du meuble avec son ami Jean-Paul Riopelle, professeur de menuiserie à l’École technique d’Arvida, il avait trouvé l’endroit idéal, dessiné les plans et même fait flotter les matériaux de construction sur le Lac Kénogami, faute de chemin d’accès. 

Une grande pièce principale, cuisine-salle à manger-salon. Au milieu, un immense foyer fait de pierres extraites du Lac. Le reste de la bâtisse, des chambres (petites), une salle de bain (encore plus petite) et même, évidemment (!), un escalier en colimaçon menant vers une tour d’observation. Le chalet d’un artiste, je vous disais. 

Fin décembre 1982 ou 83, il y avait beaucoup de neige. À l’époque, il y avait toujours beaucoup de neige. De quoi apprécier encore plus la chaleur du foyer.

Outre le maître des lieux, il y avait ce jour-là moi et Monique (oui, ami lecteur, c’était avant Mme Ménard), Mario et Renée ainsi que Louis et Johanne.

Ah… Johanne. 

Il faut d’abord que je vous dise que le groupe avait un fort lien avec la station de radio CJMT de Chicoutimi. François et moi y étions journalistes avec Louis comme Chef des nouvelles. Mario y avait aussi été journaliste avant de passer au Quotidien. Johanne, elle, travaillait aussi à la station, du côté administratif.

La rumeur populaire voulait que les plus belles filles du Québec soient à Chicoutimi. 

Je ne démentirai pas une rumeur populaire. 

Les gars de CJMT avaient tous, je crois, un « kik » sur elle. Louis, lui, ne s’était contenté d’un « kik », Johanne était devenue sa blonde. 

L’ambiance était relaxe, le foyer ronronnait, un vinyle tournait sur la stéréo. J’imagine que c’était Louis qui jouait le DJ. Il s’y connaissait en musique, parmi ses multiples qualités. 

Est-ce que je vous ai mentionné que Johanne était devenue sa blonde? »

« So this is Christmas / And what have you done?

Another year over / And a new one just begun

And so this is Christmas / I hope you had fun

The near and the dear ones / The old and the young»

John Lennon, Happy Xmas (The War is Over). Un message pacifiste déguisé en chanson de Noël. 

Un son de clochettes a commencé à se faire entendre. Quelqu’un dans le groupe avait eu l’idée de génie de se servir de ses clés pour improviser un accompagnement. Nous avons tous suivi, Lennon avait maintenant sept percussionnistes de plus. 

« War is over / If you want it

 War is over / Now».

Court silence après les dernières notes. L’ambiance était trop belle, on a fait la seule chose sensée. Quelqu’un a replacé le bras de la table tournante au début de la piste. 

Maintenant qu’on maitrisait le porte-clé musical, on n’allait pas s’en priver.

Note : Monique étudiait ces années-là en interprétation piano à l’Université de Montréal. Bien que surqualifiée pour le porte-clé, il me semble qu’elle l’agitait avec autant de concentration et de bonheur que nous tous. Ce bref détour de percussionniste n’a pas nui à sa carrière, elle a longtemps enseigné, notamment au Conservatoire de musique de Montréal.

Finalement, on a enchainé comme ça deux ou trois répétitions avant de ranger nos instruments dans nos poches. 

Suis-je le seul qui a gardé ces minutes-là aussi vivement en mémoire? Je l’ignore mais peu importe, je suis le possesseur de ce joli souvenir. 

Pour Noël, cette année, c’est ce que je vous souhaite : quelques minutes de grâce, un souvenir à mettre en réserve qui revient en surface quand une chanson passe à la radio et vous fait chercher votre porte-clé.

Joyeuses fêtes! On se reparle l’an prochain.


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