Premier vol, version audio

Parti courir no 102, 3 mai 2023

Je suis parti courir. Une des premières belles journées de printemps. Gros soleil, 12 degrés. Le genre de journée qui confirme que l’hiver a eu beau nous balancer tout ce qu’il pouvait, on a encore réussi à passer à travers.

Je venais de tourner le coin de la rue Centre, pas loin de la maison, lorsqu’elle m’a dépassée. Une petite fille, pas plus de 5-6 ans, très concentrée sur sa bicyclette. Suivie de sa mère, les mains à courte distance du siège. 

Le temps pour moi de mettre quelques informations en ordre : toute jeune cycliste, mère pas loin, première belle journée, rue tranquille, petit faux plat descendant… pour réaliser que par hasard, je vivais juste à côté d’elle. LE moment. LA première fois. L’instant où le vélo tient en équilibre, tout seul, sans les petites roues et sans les mains de maman. 

Elle venait de devenir une cycliste. 

Sa vie venait de changer. Elle venait d’apprendre à voler.

À partir de là, plus rien n’est pareil. L’école qui est tellement loin? Elle vient de se coller sur la maison. La petite amie qui vit à « des millions de kilomètres », dans la rue à côté? Elle devient la voisine. Un peu d’entraînement et on entrera même dans le vaste territoire de « aller faire des commissions ».

La liberté. 

Le début de. 

Bon, il faudra encore un peu de travail. Des broutilles à apprendre, genre savoir tourner et freiner mais le plus gros de l’ouvrage était derrière elle. Le déclic, l’instant où on se rend compte que tenir en équilibre sur des pneus pas plus large que ça, ben, oui, ça se peut. Ensuite viendrait : c’est tout le corps qui pilote, pas le guidon. Peut-être aussi : en groupe, on ménage son énergie, comme les outardes qui volent en peloton.

Possible que oui, parfois, il y ait un atterrissage non-planifié dont les conséquences varient avec la vitesse du vol. Du petit « ouch » qui se règle avec un Band-aid et un « bécébobo » jusqu’au gros « OUCH » qui demande une visite à l’urgence, suivi d’une visite à la boutique de vélo.

Là on ne parle que de transport. S’il fallait qu’elle se découvre une passion pour le vélo et que ça devienne son sport? Toutes ces choses qu’il lui reste à découvrir. Des grandes vérités que les cyclistes sérieux finissent toutes et tous par apprendre. Des choses comme :

  • On peut rouler en solo, en duo, en peloton et même, mais c’est plus rare, à trois de large et plus de 300 de long, en finale du Grand Défi Pierre Lavoie.
  • Il y a « être en forme » et « être en forme de becyk ». La différence, c’est environ 1000 kilomètres.
  • On achète un vélo avec sa tête mais aussi avec son cœur. On ne l’avoue pas trop mais le look, c’est un gros facteur.
  • On peut avoir un vélo de route qui vaut plus cher qu’une auto. 
  • On peut avoir un vélo de route qui vaut plus cher qu’une auto et même à ce prix-là, les pédales ne sont pas incluses! 

Elle apprendra aussi qu’il n’y a pas de vraiment mauvais moment pour rouler. L’été comme l’hiver, en montagne ou sur le plat, à l’aube, en plein soleil de midi, à la brunante et même, je lui souhaite d’avoir un jour avoir cette chance, en pleine nuit, en gang, chacun sa petite lumière.

Surtout, peu importe la météo et l’heure, l’endroit, la taille du groupe et le coût de la machine, il lui arrivera parfois, le temps de quelques instants furtifs, de retomber en enfance. Lors d’un dépassement parfait, d’un survol bruyant d’un voilier d’outardes, de quelques kilomètres de bitume impeccable, d’une jasette de peloton avec un petit vent de dos quand le soleil se couche à l’horizon.

À ce moment-là, 10, 30 ou 50 ans après son premier départ non-assisté, une idée lui traversera alors l’esprit : « C’est presque comme voler ». 


5 commentaires

Michel Lemay · 3 mai 2023 à 18h47

Je me souviens très bien de ma première envolée sur le vélo de Serge Vézina
Que Dieu ait son âme

    Guy Ménard · 3 mai 2023 à 20h49

    J’espère que Serge était au courant de l’emprunt, il avait un fort caractère!

Benoit Bouchard. · 3 mai 2023 à 22h08

Guy.Ton texte m’a fait du bien. Encore plus après avoir écouté les nouvelles du jour.

    Guy Ménard · 4 mai 2023 à 13h02

    Content d’avoir pu repousser un peu la grisaille de l’actualité!

Johanne Jean · 8 mai 2023 à 8h52

J’ai à l’esprit ma petite-fille qui a laissé ses petites roues depuis quelques semaines et qui ne cesse de rouler depuis ce temps. Qui sait ce que son avenir de cycliste lui réserve.

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