Parti courir no 87, 8 mai 2022

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Je suis parti courir. Je me suis arrêté presqu’immédiatement. J’ai fini en marchant. Pour courir, avoir un bon cœur c’est un avantage mais avoir le cœur gros, ça n’aide pas du tout.

J’ai perdu un ami. Est-ce qu’on peut encore dire « un ami » quand on ne lui a pas parlé depuis cinq ans? Je revendique le droit. Et l’honneur. On ne s’était pas parlé durant les cinq dernières années mais, puisque pendant un bon bout de temps on se parlait cinq fois par semaine au moins, j’imagine que j’avais accumulé suffisamment de points Air Miles d’amitié.

Donc, j’ai perdu un ami, le journaliste Mario Roy. Je l’ai appris vendredi. Il a été fauché par un cancer fulgurant, à 71 ans. 

On s’était connu à la radio CJMT au Saguenay. J’y faisais les nouvelles la fin de semaine, Mario avait un poste de journaliste la semaine, emploi qu’il a quitté pour aller écrire au Quotidien. J’ai obtenu son poste et son amitié.

Nous avons même été voisins quelques années, dans de vieilles maisons de la côte du secteur Rivière-du-moulin, à Chicoutimi. Le temps de faire connaissance avec son immense culture, son sens de l’humour et je pense que c’est le bon mot, sa bienveillance. 

Il a quitté le Saguenay, repêché par La Presse où il est passé du Palais de justice à la Place des arts pour finir aux pages éditoriales. Pour moi, tous les prétextes étaient bons pour aller faire un tour à Montréal et découvrir la ville avec Mario. 

Je pensais à lui hier et les souvenirs remontaient en vrac : l’album vinyle quadruple de Chicago au Carnegie Hall; un noël au chalet de François Lafortune où on agitait nos trousseaux de clés en guise d’accompagnement à John Lennon sur So This Is Christmas; Les Misérables, qu’il m’a fait découvrir, à Broadway; ses livres (je le taquinais en disant que j’étais le seul québécois à posséder tous ses bouquins, tous dédicacés); son mariage, sur un bateau dans le Vieux-Montréal; ses haussements d’épaules devant la bêtise humaine; le rhum and coke; le rhum and coke et, bien sûr, le rhum and coke. 

J’ai aussi reçu un cadeau de Mario. Une expression totalement incompréhensible pour qui n’a pas été dans son sillage : « Un Projet du centenaire ». 

À ses débuts à La Presse, Mario partageait la couverture du Palais de Justice avec un vétéran du journal, Léopold Lizotte. Lizotte a passé 40 ans au Palais de justice de Montréal, bien assez pour devenir cynique. S’inspirant de tous les projets annoncés au début des années 80 pour célébrer le centenaire de La Presse (tous aussi grandioses les uns que les autres), le vétéran avait développé l’habitude de qualifier de « Projet du centenaire » toute idée ayant peu ou pas de chance de se réaliser.

Mario avait adopté l’expression, je l’ai imité. Si bien qu’encore aujourd’hui, il m’arrive d’accueillir un projet qui m’apparaît invraisemblable d’un sombre et définitif : « C’est un Projet du centenaire ». Évidemment personne ne comprend. Comme on dit, fallait être là.

Cinq ans qu’on ne s’était pas parlé. La dernière fois, c’était pour un diner, plus liquide que solide. Une bonne jasette mais je crois qu’on s’était quitté l’un et l’autre dans le même état d’esprit. Le temps avait fait son œuvre, la complicité s’était effritée. 

Aujourd’hui, je m’en veux de ne pas avoir persisté, de ne pas avoir repris le contact, tenter de rallumer la flamme. Je prends le blâme, je l’ai échappé. 

J’en ai échappé un. Ça devrait me servir de leçon pour tous les autres, tous ceux avec qui j’ai eu tant de fun, qui ont occupé tellement d’espace dans ma vie pendant des années et dont j’ai fini par perdre la trace. 

Je devrais me lancer à leurs trousses, essayer de ramener le passé au présent. Ça doit pouvoir se faire, non?

Mais en même temps, je sais très bien que ce genre d’idéal résiste rarement au rouleau compresseur de la vie quotidienne. Il y a une expression pour illustrer les chances que cela se produise :

Un Projet du centenaire. 


1 commentaire

Denis Richer · 8 mai 2022 à 19h42

Il est vrai que nous tissons des liens important avec des gens qui nous allument, impressionnent, enseignent, écoutent selon l’étape à laquelle nous sommes rendu dans notre vie personnelle et professionnelle. Comme tu as si bien dit, » le rouleau compresseur de la vie », nous entraînent dans des directions parfois diamétralement opposées et nous devons faire des choix, souvent inconscient, pour réaliser quelques années plus tard la perte de relation avec un tel ou une telle… C’est durant ces portions de vie que nous devons dire aux personnes avec qui nous sommes bien que ce sont de vrais amis et que nous les oublirons jamais. Ça reste graver dans la mémoire de part et d’autre…

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