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Parti courir, no 73. 21 juillet 2021

Je suis parti courir. Vaguement traumatisé, je venais de me voir à la télévision. On dira ce qu’on voudra, la haute définition sur un écran de 55 pouces, ça peut faire mal. Il y en a, je pense à Marie-Lyne, qui portent bien ça. Dans mon cas… pas tant.

Ma binette apparaît dans la bande annonce de « Résister à tout prix », dernier épisode de la série 39-45 en sol canadien, diffusée sur TV5 Unis, le lundi à 22h00. J’y parlerai de l’histoire de mon père, un conscrit de la Deuxième Guerre, qui a quitté l’armée sans permission en décembre 1944 et dont le dossier militaire est marqué d’un tampon sans équivoque « Considéré comme n’ayant jamais servi ». 

Je raconterai toute l’histoire un jour. J’ai pour projet d’en faire un livre. Il y a amplement de matériel depuis l’enrôlement non-volontaire en 1941, une mutinerie en 1944, la fuite dans les forêts du Nord en 1945 pour finir par le mariage avec ma mère (elle-même guetteuse d’avions du Service volontaire), en 1946, et l’inquiétude de Florence pendant la messe, elle qui craignait que son Léo « se fasse arrêter par la police militaire ». 

Il y a souvent une deuxième histoire en dessous de la première. C’est celle-là qui me revenait en tête en amorçant la course. 

Automne 2016, je passais un bout un peu difficile point de vue santé. Pas de sport, désœuvré. Jusqu’au 26 novembre, quand un cadeau est tombé du ciel, sous forme du « tweet » d’un historien de la Deuxième Guerre : « Canadian troops have staged a mutiny in tiny town of Terrace, with 1600 conscripts stockpiling ammo and refusing to be sent to fight overseas » (Des troupes canadiennes déclenchent une mutinerie dans la petite ville de Terrace, 1600 conscrits accumulent des munitions et refusent d’être envoyés se battre outremer).

Chaque jour, cet historien racontait, comme si c’était en temps réel, des faits peu connus de la guerre de 39-45. Alors, le 26 novembre 2016, il parlait de ça. Moi, je le lis sur mon téléphone, à la lumière des chandelles et du feu de foyer parce que, comme pour ajouter au charme, on est en panne de courant. 

Et ça me dit quelque chose, cette affaire-là. À force d’y penser, ça me revient. Le Petit carnet noir! 

Ma mère m’avait donné il y a longtemps, de vieilles photos et un intriguant petit carnet, gros comme une carte de crédit, contenant des souvenirs du passage de mon père dans l’armée. Des dates, des noms de bases militaires et surtout, ce qui m’avait frappé, un long texte, écrit d’une autre main que celle de mon père. Un texte adressé à un Major Thuot, faisant référence à une « grève épouvantable » et demandant le retour des grévistes au Québec. 

J’ai commencé à chercher. D’abord dans la maison. Il m’a fallu plus d’une semaine pour retrouver le carnet. Ensuite, quelques années dans des fonds documentaires, des livres d’historiens militaires, les archives du gouvernement canadien et des vieux journaux pour combler les trous dans la narration et mettre ensemble les faits.

Mon père a été un mutin! 

Impliqué dans un événement qu’on a baptisé « La mutinerie de Terrace », événement considéré comme le plus grand cas d’indiscipline de l’histoire militaire canadienne. Les soldats de trois régiments, dont le Saint-Laurent, celui de mon père, ont pris le contrôle d’un camp pendant cinq jours, défié les ordres des supérieurs et négocié les conditions de leur retour au Québec. 

Quel rôle a joué Léo Ménard de Chambord là-dedans? Impossible de le dire exactement. Il était messager à moto. A-t-il été chargé d’aller faire télégraphier le texte? Il avait appris la dactylo. Peut-être qu’on lui a demandé de dactylographier le message manuscrit pour le remettre au Major Thuot? Impossible de le dire avec certitude. 

Heureusement, puisque j’ai l’idée d’en faire un roman historique, j’aurai le droit d’inventer les bouts qui me manquent. 

Alors, peut-être qu’il a…