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Parti courir, no 59. 19 décembre 2020.

Je suis parti courir. Pas longtemps, cinq pas peut-être. On était le 24 décembre au soir, c’était le moment d’ouvrir les cadeaux, mon père venait d’appeler mon nom. J’avais trois ans, cinq pas c’était la distance entre moi et les genoux de mon père. Je précise « les genoux » parce que c’est la hauteur à laquelle mes yeux arrivaient.

Mon père mesurait neuf pieds.

Peut-être pas exactement neuf mais quand on a trois ans, tous les adultes mesurent au moins six pieds.  Les pères pas mal plus que ça.

Après avoir appelé mon nom, mon père, du haut de ses neuf pieds, s’est penché pour récupérer une grosse boite cachée derrière le divan du salon. Une grosse boite! Déjà, ça partait fort. Un enfant de trois ans, c’est comme un chat. Tu lui donnes une grosse boite, il perd la tête. 

Le temps d’un peu de déballage (arrachage serait plus proche de la réalité), j’ai pu ouvrir le dessus. Une casquette orange avec un pompon noir… mon ours! MON ours! 

Blanc de mémoire, ça fait à peine 60 ans, je ne me souviens plus si je l’avais vu dans le catalogue Sears ou au magasin grande surface. En 1960, le Continental de Roberval, on considérait ça comme une grande surface. Chose certaine il m’était tombé dans l’œil. Un ours en peluche géant, brun (brun ours, genre), une boucle en tissu rouge, la veste et la casquette orange.

Je l’ai baptisé Freddy, on a été inséparables pendant des années. Mais j’ai grandi, bien sûr, et Freddy a fini, bien sûr, tout seul dans le fond d’une armoire de la maison de Chambord. 

Une vingtaine d’année plus tard, le téléphone sonne dans mon appartement de Jonquière. Ma mère au bout du fil. Petit moment d’inquiétude. Comme on ne s’appelait pas si souvent, j’ai donc d’abord pensé « mauvaise nouvelle ». Non, elle était juste étonnamment mystérieuse, avec comme un petit sourire dans la voix. Je devais me rendre chez mon oncle François. Lui aussi habitait au Saguenay, il avait quelque chose à me remettre. 

Intrigué, je saute dans ma Chevette. Hé oui, j’ai eu une Chevette. Ma première voiture neuve. Vous allez me dire que vous avez juste fait des bons choix dans la vie, vous autres? Malgré le véhicule, je réussis à me rendre chez l’oncle François, dans le froid et les rues enneigées. On est en décembre. 

J’arrive là, on jase un peu, ma tante Thérèse m’a sûrement offert de quoi manger. À cette époque une tante offrait toujours à manger, peu importe l’heure. Le fait que je devais peser 125 livres a pu aussi servir d’incitatif.

« On était à Chambord la semaine passée, commence mon oncle, façon d’entrer dans le vif du sujet. Ta mère m’a donné quelque chose pour toi ». Il se penche et de derrière le divan, il sort une grosse boite. « Tu peux l’ouvrir tout de suite ». 

Freddy! 

Freddy, comme s’il sortait du magasin. Refait à neuf. Plus tard j’apprendrai que mes parents l’avaient décousu, lavé, refait la bourrure, acheté du tissu identique pour la boucle et même (j’imagine mon père dans son atelier) trouvé du plastique noir et blanc pour reproduire les yeux de l’ours qui s’étaient brisés à force d’être trainé partout.

J’ai réagi avec un brin plus de retenue que la première fois (par exemple, je ne me suis pas roulé par terre en embrassant mon ours), après tout, j’étais « un grand gars ». N’empêche que François et Thérèse ont sûrement vu que j’étais ému. 

On est reparti, Freddy attaché sur le siège du passager. J’ai appelé à la maison pour remercier mes parents, j’ai bien senti que Florence était pas mal fière de son coup. Elle avait bien raison. C’est le genre de cadeau qui marque. 

Qui marque au point de l’avoir toujours, une quinzaine de déménagements plus tard. Au point d’en parler encore, 40 Noëls plus tard.

Catégories : Décembre 2020

3 commentaires

Benoit Bouchard · 19 décembre 2020 à 16h39

Un conte de Noël ça se termine toujours bien.Surtout si ça commence à Chambord et ça se termine à Jonquière. Joyeuses fêtes Guy.

    Guy Ménard · 20 décembre 2020 à 14h40

    Merci, M, le Directeur! Joyeuses fêtes à vous et votre famille.

Yves bernard · 19 décembre 2020 à 17h09

Je comprends maintenant ton surnom Chevette Ménard Arrête d avoir de trop bonnes histoires Ça donne des complexes aux autres « écriveux »
C est drôle j ai pratiquement le même ourson mais c est pour Bella
Envoie ton texte à La Presse ou hufftington post il vaut la peine d être connu

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